À l'atelier d'hortithérapie de l'hôpital Douglas, on sème, repique, empote, arrose et entretient avec amour fleurs, plantes vertes et légumes. Valorisant, le jardinage aide à briser l'isolement et à rebâtir l'estime de soi des patients souffrant de maladie mentale. Et s'il offrait aussi beaucoup plus?

Léonard* adore jardiner. Il peine à marcher, il peine à parler. Mais dès qu'il pousse la porte des serres, ses yeux s'illuminent. Il se rend au placard, enfile un tablier et des gants de jardinage. Impatient, il se balance sur un pied et sur l'autre en attendant qu'on lui donne des consignes. Il regarde sa montre: «Elle est nouvelle et brille dans le noir», répète-t-il. Il veut s'assurer de commencer à 13 h comme prévu.

 

Depuis 25 ans, l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, pionnier en hortithérapie au Québec, accueille dans ses serres des gens atteints de diverses maladies mentales. Une cinquantaine de participants s'y rendent chaque semaine.

En cet après-midi de mai, six jardiniers amateurs sont au rendez-vous. Ils souffrent de schizophrénie, de troubles anxieux, de troubles bipolaires, de retard intellectuel léger ou de dépression. Ils ont entre 20 et 60 ans. «Notre clientèle est en grande partie atteinte de troubles sévères et persistants. Certains sont plus fonctionnels que d'autres», indique Jacques St-Hilaire, technicien en horticulture.

La très grande majorité des participants vit dans la communauté, en foyer, en appartement supervisé ou dans une famille. «Je compare notre programme à une voie d'accotement, indique Jacques St-Hilaire. On essaie de briser l'isolement et de créer un milieu d'appartenance. Les participants rebâtissent leur estime de soi et reprennent confiance. Ils accomplissent des tâches variées, prennent des responsabilités et participent aux décisions.» Certains retourneront même sur le marché du travail ou aux études.

«J'aime semer, entretenir et faire des mélanges de terre avec de l'engrais, confie Normand, un habitué. J'aime voir pousser les plantes, les surveiller et les arroser.» A-t-il le pouce vert? «De plus en plus, répond-il, fièrement. J'en apprends tout le temps, mais je ne sais pas par coeur tous les noms compliqués.» Sa plante préférée? Il hausse les épaules. «Je les aime toutes, mais on a un bananier qui donne parfois des bananes. C'est spécial.»

«Ils apprennent à prendre soin d'un être vivant et voient assez rapidement le fruit de leurs efforts, c'est très valorisant pour eux, dit Marielle Contant, horticultrice. Une plante, ce n'est pas menaçant, mais ce n'est pas inerte. C'est un premier pas pour ceux qui ont de la difficulté à entrer en relation avec les autres.»

Les tâches changent avec les saisons. On prépare des semis en janvier, on jardine l'été et on vend des poinsettias à Noël.

Aujourd'hui, on doit transporter les plantes non vendues dans le jardin, sous un chapiteau de fine toile, les arroser et préparer le potager. Dans les prochaines semaines, on les plantera dans les nombreuses plates-bandes de l'hôpital. «Les participants adorent aller dehors, ils n'y vont pas souvent autrement, confie Marielle Contant. Ça leur fait du bien. Le travail physique aussi, c'est très thérapeutique.»

Maryse, la plus jeune, arrose les plantes. Ronald, le doyen, préfère s'occuper seul, à l'écart, un baladeur sur les oreilles... pour faire taire les voix qu'il entend.

Léonard et Robert transportent avec entrain des caissettes de plantes au jardin. Au bout d'une trentaine de minutes, Robert se tamponne le front. «Il fait chaud, c'est humide.» Il disparaît soudainement sans dire un mot. On le retrouve assis sur un banc à l'intérieur des serres, le regard au sol et les mains dans les poches de son manteau du Canadien de Montréal. Sa casquette est vissée à l'envers sur sa tête. Il est prêt à partir.

«Robert fait un gros effort pour venir ici. Il doit prendre l'autobus, placoter avec les autres participants. Le moindre changement le bouleverse, il est très anxieux, explique Jacques St-Hilaire. Quand il a commencé, il se contentait de s'asseoir sur le banc. Graduellement, il a eu le goût de participer. Un lien de confiance s'est tissé.»

Les participants disent aimer la lumière de la serre l'hiver, le calme ambiant et le contact avec les plantes qui grandissent. «Ça nous aide pour le moral, il y a une bonne ambiance», confirme timidement Linda.

Stéphane, le dernier venu, est très productif: il taille du seigle, de l'engrais vert. Avant d'être malade, il a étudié en horticulture. Récemment, il a fait une psychose. Il reprend peu à peu le dessus. «J'aimerais réintégrer le marché du travail. J'aime être dehors, faire des tâches manuelles. Je préfère les vivaces, mais je découvre maintenant les annuelles.»

L'atelier dure 60 minutes. L'été, c'est le double. Léonard regarde sa montre. «Il est 14h, c'est fini», marmonne-t-il à Marielle. Il se retourne et nous désigne sa montre: «Elle brille dans le noir.» Puis, il défait son tablier, range ses gants et s'en va. En attendant la prochaine fois.

* Certains prénoms ont été changés.