Faut-il attendre ou payer? C'est le choix qui s'offre maintenant dans plusieurs domaines de la santé.

Pour plusieurs, la décision n'est pas qu'économique, mais aussi morale.

«C'est un peu comme décider d'envoyer son enfant à l'école privée plutôt qu'au public», explique Bryn Williams-Jones, bioéthicien à l'Université de Montréal.

«Pour le bien de la société, c'est mieux qu'il n'y ait pas trop de gens qui le fassent, dit-il. Mais d'un point de vue individuel, c'est sûr que dans certaines situations, c'est mieux. Dans un sens, c'est égoïste, mais en même temps, j'ai la responsabilité personnelle de gérer ma santé.»

 

Il faut, de plus, considérer les circonstances qui ont rendu possible ce choix.

«Il y avait déjà des médecins désaffiliés avant le jugement Chaoulli, en 2005, dit M. Williams-Jones. Mais le jugement a confirmé la validité de cette situation et a aussi ouvert la porte à des assurances médicales privées qui couvriraient des opérations orthopédiques et ophtalmologiques. Or, le jugement a été rendu à quatre contre trois. On peut se demander ce qui se serait passé s'il y avait eu le nombre normal de juges, neuf au lieu de sept. Si on considère que ce jugement est une erreur, ça a un impact sur notre choix individuel de recourir à un médecin hors RAMQ.»

Doit-on se sentir coupable d'avoir accès plus rapidement à un traitement parce qu'on en a les moyens?

«On peut considérer que c'est discriminatoire, dit M. Williams-Jones. Mais d'un autre côté, d'autres soins médicaux ne sont pas couverts, comme les lunettes, les soins dentaires, les physiothérapeutes. Et toutes les provinces n'offrent pas la même couverture, on n'a qu'à penser aux soins de fertilité au Québec. S'il y a des trous partout, on peut se sentir dédouané. Et ça ne nous empêche pas de nous battre pour l'amélioration du système public.»

Réflexion éthique

Les zones grises sont également importantes dans la réflexion éthique, selon André-Pierre Contandriopoulos, professeur d'administration de la santé à l'Université de Montréal.

«Prenez les services «or» qui permettent d'avoir accès plus rapidement à un médecin ou à des conseils médicaux dans certaines cliniques privées à Montréal, dit-il. On peut les comparer aux coopératives de santé qui assurent des services plus rapides à leurs membres, d'autant plus que plusieurs coopératives sont fondées par des notables et non par la communauté. Plus il y a de zones grises, plus c'est facile sur le plan individuel d'en profiter.»

Le risque du système privé, c'est qu'il séduise de plus en plus de patients et de médecins et que le système public ne s'en trouve étiolé.

«Les entreprises privées choisissent les domaines moins coûteux ou moins risqués, plus rapides, comme l'orthopédie, dit M. Williams-Jones. On laisse les diagnostics plus coûteux, plus lourds et plus compliqués au système public. Ça peut être une bonne chose si c'est bien géré. Déjà, le système public, comme n'importe quelle entreprise, sous-traite plein de services, comme les diagnostics sanguins. Comme gestionnaire, l'important est l'impact sur le budget, la qualité et la rapidité du service. D'ailleurs, au départ, dans les années 30 et 40, l'assurance maladie est née dans les Prairies parce qu'un accident agricole signifiait parfois que le fermier perdait sa ferme. On pourrait choisir, comme société, de revenir à cela: une assurance catastrophe qui couvrirait les soins très coûteux et imprévisibles.»