À un récent congrès sur les maladies inflammatoires à Rotterdam, Sylvianne Forget a rencontré l'une des spécialistes pédiatriques européennes de la maladie de Crohn. La gastroentérologue de l'Hôpital de Montréal pour enfants lui a posé une question qui la tracassait: pourquoi la presque totalité des jeunes patients sont-ils traités avec des aliments prédigérés en Europe, alors que cette proportion est beaucoup plus faible au Canada?

«Elle m'a dit qu'elle disait tout simplement à ses patients que c'était le meilleur traitement et que s'ils lui parlaient des stéroïdes, elle les leur déconseillait, explique le Dr Forget. Les médecins européens ont une approche plus normative. En Amérique, on pratique le consentement éclairé: on explique les avantages et les inconvénients des divers traitements et on laisse le patient choisir.»

 

Le choix entre les deux traitements est crucial pour les patients pédiatriques. Les stéroïdes ont parfois des effets secondaires, notamment un gonflement du corps, de l'acné et une limitation de la croissance.

De son côté, si elle n'a pas d'effets secondaires pharmaceutiques, la nutrition entérale des liquides prédigérés est très désagréable au goût, au point que les patients doivent parfois être alimentés par un tube passant par leur nez, et elle enlève tout plaisir aux repas.

«Environ le quart de mes patients choisissent la nutrition entérale, dit le Dr Forget. En général, ce sont les parents qui insistent parce qu'ils veulent éviter les effets secondaires à leur enfant. Mais la qualité de vie de l'enfant doit aussi être prise en compte. C'est sûr que s'il y a un problème de croissance, je vais recommander la nutrition entérale. Mais sinon, c'est vraiment le choix du patient.»

Europe

De l'autre côté de l'Atlantique, un gastroentérologue écossais confirme les différences observées par le Dr Forget, mais les voit d'un tout autre oeil.

«Toutes les études ont démontré que la nutrition entérale est le meilleur traitement», explique Richard Russell, de l'hôpital Yorkhill à Glasgow, qui a publié en 2009 l'une des études les plus importantes sur le sujet.

«Pourquoi accepter un risque d'effets secondaires si on peut les éviter? C'est sûr que les jeunes en fin d'adolescence et à l'âge adulte sont plus réfractaires. On ne peut les y obliger. Mais avant ça, tous les patients européens suivent la nutrition entérale.»

Le choix ne doit être fait que pour la première phase d'un traitement contre la maladie de Crohn, jusqu'à la rémission. Le traitement aux stéroïdes dure généralement quatre semaines, avec une phase de sevrage par la suite, alors que la nutrition entérale dure de six à huit semaines. Ensuite, la maladie est contrôlée avec des immunomodulateurs, aussi appelés immunosuppresseurs.

L'autre problème de la nutrition entérale, selon le Dr Forget, est que son mécanisme d'action est inconnu.

«C'est l'une des principales questions auxquelles nous devons répondre, reconnaît le Dr Russell. On varie la composition du liquide et ça ne semble pas faire de changement. Il nous faut vraiment mieux connaître comment ça marche, même s'il est évident que c'est le meilleur traitement.»