Les médecins de famille passent beaucoup de temps chaque jour à des activités cliniques qui ne sont pas rémunérées, comme des conversations téléphoniques, des courriels, des renouvellements d'ordonnance par téléphone et des demandes d'examen par un spécialiste ou par imagerie médicale, selon une étude américaine publiée dans le New England Journal of Medicine.

Selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), c'est la preuve que la médecine familiale est sous-financée. Les groupes de médecine familiale, qui allouent une somme forfaitaire pour le suivi d'un patient, sont «un pas dans la bonne direction», mais ne couvrent pas toutes ces petites tâches disparates, explique Serge Dulude, responsable du dossier de l'organisation des soins à la FMOQ.

 

«Quand je pratiquais encore, il y a 28 ans, il fallait toujours réserver une petite heure à la fin de chaque journée pour les tâches médico-légales, explique le Dr Dulude. Ça n'a pas changé. Trois heures par semaine, comme le prévoit le système des groupes de médecine familiale, ça n'est pas assez.»

Qu'en est-il des bonifications pouvant aller jusqu'à 30% pour les médecins pratiquant en clinique privée? «C'est supposé couvrir les composantes techniques, les frais d'opération, les loyers et les secrétaires, pas les frais professionnels, dit le Dr Dulude. Et avec le temps ça s'est effilé, ce n'est plus 30%, je dirais plutôt 20%.»

Dans l'étude américaine, qui portait sur une clinique médicale de Philadelphie, chaque médecin voyait en moyenne 18 patients par jour, faisait 24 appels téléphoniques et écrivait 17 courriels pour des dossiers, renouvelait ou corrigeait 12 ordonnances et examinait 45 rapports de laboratoire, de consultations avec des spécialistes et d'imagerie médicale. Seules les consultations avec les patients étaient rémunérées.

«Cette étude montre que si on continue comme ça, on va arriver à la situation américaine avec 10 omnis pour 90 spécialistes», soutient Michel Lafrenière, président de l'Association des médecins omnipraticiens de Québec. Ce rapport est d'environ 50-50 au Québec. «C'est exactement la même chose qui se passe ici, sauf que les salaires sont plus bas qu'aux États-Unis.»

Selon le Dr Dulude, les omnipraticiens peuvent en théorie exiger des frais pour un renouvellement d'ordonnance à distance, «mais dans les faits, c'est très rare». Le fait d'entrer au dossier les résultats des analyses et de parler aux spécialistes et aux patients par téléphone n'est pas plus remboursable. «Il y a seulement un acte pour les discussions multidisciplinaires pour les personnes âgées atteintes de maladies chroniques, dit le Dr Dulude. C'est très restreint. Et ça s'alourdit. On aime bien nos confrères spécialistes, mais pour un patient qu'on croit atteint de sclérose en plaques, il suffisait par le passé d'envoyer quelques informations et, maintenant, c'est presque un résumé de dossier. Je peux comprendre les spécialistes, plus d'informations, c'est mieux. Mais comme ça varie entre spécialités, on doit avoir une tonne de formulaires.»

Les dossiers électroniques améliorent cet aspect du travail, mais ne constituent pas une panacée, selon le Dr Lafrenière. «Avant, quand je voyais une mesure de glycémie anormale, je devais demander le dossier à la secrétaire, faire deux ou trois manipulations. Si je me rendais compte que tout était OK, je mettais le dossier de côté. Maintenant, j'ai accès moi-même à toutes les informations. C'est plus efficace. Mais je vais en profiter pour mettre une note au dossier et prévenir la secrétaire d'avertir le patient que ses résultats sont OK. Ça ne prend pas moins de temps qu'avant. L'avantage, par contre, c'est que je peux y consacrer un peu de temps quand je veux, le soir, la fin de semaine.»

Qu'en est-il des patients qui envoient des questions par courriel? «Ce n'est pas une avenue impossible à envisager, mais ce n'est pas un geste médical assuré et les patients seraient probablement intéressés à un suivi par courriel pourvu que ce soit gratuit», répond le Dr Lafrenière.

Le Dr Dulude, lui, estime que les courriels peuvent avoir leur place dans la relation entre un médecin de famille et son patient. «On peut écrire la réponse le soir à 23h. Je suis allé à Toronto à un colloque et un type de Kaiser Permanente, une grosse chaîne d'hôpitaux en Californie, nous expliquait comment le patient pouvait avoir accès à son dossier médical, poser des questions par courriel et même prendre lui-même son rendez-vous par internet. Il nous a assuré qu'il n'y avait pas de surconsommation, qu'au contraire les patients étaient encore plus fidèles à leurs rendez-vous.»

La clinique du Dr Lafrenière va justement commencer, dans un mois, à permettre à ses patients de prendre eux-mêmes leurs rendez-vous par l'internet.