Quand on s'expose au soleil, on se couvre la tête et on applique de la crème solaire. L'habitude est maintenant profondément ancrée. Mais un débat subsiste chez les dermatologues quant au lien entre soleil et cancer de la peau. Certes, plusieurs cancers causant le défigurement sont dus au soleil. Mais la nature du lien avec les mélanomes les plus mortels reste encore à déterminer.

En 2005, une étude publiée dans le prestigieux Journal of the National Cancer Institute des États-Unis a fait des vagues dans le monde de la dermatologie. Des chercheurs de six centres d'oncologie d'Australie et des États-Unis ont calculé que l'exposition au soleil après un diagnostic de mélanome diminuait le risque de mourir de ce cancer de la peau.

L'immense majorité des études sur le sujet concluent que le lien entre le mélanome, cancer de la peau particulièrement mortel, et le soleil est indiscutable. Mais une poignée d'études crédibles jettent la lumière sur les zones d'ombre de ce secteur de la dermatologie. Le soleil est une source de vitamine D, qui améliore le pronostic de survie de plusieurs cancers, dont celui de la peau. Et surtout, il est souvent difficile d'évaluer quels mélanomes causent le plus de risques de mortalité. Certaines études mettent en doute que le soleil soit responsable des plus virulents.

«Il est certain que le soleil n'est pas la seule cause des mélanomes», explique Scott Ernst, directeur de l'oncologie au Programme régional de cancer de London en Ontario, qui travaille à la mise sur pied d'un registre pancanadien des pronostics des mélanomes en fonction des divers traitements et caractéristiques. «La génétique, par exemple, joue un rôle important. Mais l'exposition au soleil est le seul facteur de risque qu'il est possible de modifier. Alors il est normal qu'on recommande de la limiter. De plus, il existe une foule d'autres cancers non mortels qui sont clairement causés par le soleil.»

Des cancers de la peau non mortels peuvent laisser des traces aussi importantes que la perte de l'une des ailes du nez ou d'une partie de l'oreille, souligne Marc Rhainds, dermatologue au Centre hospitalier de l'Université Laval. «Le débat sur le soleil et le mélanome est intéressant, mais souvent les points de vue ne sont pas nuancés, souligne le Dr Rhainds. Certains chercheurs disent qu'il faut cesser de se protéger pour avoir suffisamment de vitamine D pour se défendre des cancers. Mais il y a trop d'inconnues pour dire ça. Il est très possible que prendre oralement des suppléments de vitamine D soit suffisant. Et même que les insuffisances soient limitées aux personnes âgées.»

Études

L'étude de 2005 qui a conclu que le soleil réduisait la mortalité des mélanomes a été menée, entre autres, par deux des chercheurs les plus importants du domaine, Anne Kricker et Bruce Armstrong, de l'Université de Sydney en Australie. On ne peut pas les accuser d'être des croisés anti-protection solaire: ils ont publié de nombreuses études concluant que l'exposition au soleil, notamment pendant des vacances à la mer ou dans des destinations méridionales, augmente le risque d'avoir un mélanome. Ils ont aussi joué un rôle dans un grand effort du gouvernement australien d'accroître la proportion de la population se protégeant du soleil, effort qui a été lié à une baisse du nombre de mélanomes.

D'autres chercheurs se penchent sur les types de mélanomes les plus mortels pour voir s'ils sont plus ou moins susceptibles d'être causés par le soleil. «Le rôle du soleil est à mon sens largement surestimé pour de bonnes et de moins bonnes raisons, explique Dan Lipsker, dermatologue aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui a publié en 2007, dans la revue Archives of Dermatology, un commentaire appuyant une étude de ce genre. «Je pense surtout que le mélanome est un cancer très hétérogène. Le débat scientifique sur le vrai rôle de l'exposition solaire dans l'apparition des mélanomes se justifie donc pleinement. À mon sens il est minime, si tant est qu'il existe, dans les mélanomes qui tuent du moins.»

À l'été 2008, le British Medical Journal a fait écho à ce débat en demandant à deux dermatologues australien et britannique de défendre des points de vue opposés. «Je n'ai jamais étudié spécialement le cancer de la peau, mais je n'ai jamais été convaincu du lien entre soleil et mélanome», explique Sam Schuster, le Britannique, qui est professeur émérite à l'Université de Newcastle.

L'article du Dr Schuster a provoqué une levée de boucliers dans la profession. «Je pense qu'exposer ce genre de débat scientifique dans les médias est irresponsable», explique Joël Claveau, dermatologue au Centre hospitalier de l'Université Laval, vers qui l'Association canadienne de dermatologie a dirigé La Presse. «Ça crée de la confusion dans la population. Si vous avez un mélanome, vous allez vous le faire enlever, même si le dermatologue ne peut pas vous garantir qu'il est mortel ou non.»

Le débat sur le mélanome ressemble en quelque sorte à celui sur la détection précoce des cancers de la prostate et du sein. L'hiver dernier, des chercheurs ont avancé que la majorité des cas de ces deux maladies détectés de façon précoce sont bénins, et donc que de nombreuses opérations invasives sont nécessaires pour éviter une seule mort. Dans le cas du mélanome, les opérations sont moins invasives, ce qui peut justifier un accent plus agressif sur la détection précoce.