Winston Churchill bégayait. Marylin Monroe, Albert Einstein et Carly Simon ont aussi vécu avec un problème de langue qui trébuche. Le roi George VI, lui, s'est longtemps terré dans la confidentialité, pour éviter de s'humilier devant les foules en raison de son trouble d'élocution. Le long métrage The King's Speech, qui raconte le combat personnel du père d'Élisabeth II, arrive en salle aujourd'hui. Or, de nos jours, le bégaiement reste un phénomène mal compris.

«Il ne faut pas dire bègue, mais plutôt personne qui a un problème de bégaiement», indique Julie Fortier Blanc, professeure à l'École d'orthophonie et d'audiologie de l'Université de Montréal.

Mme Fortier Blanc se spécialise depuis plusieurs années dans les troubles du bégaiement, une condition qui comporte encore aujourd'hui une grande part de mystère et reste entourée de préjugés tenaces.

Génétique, le bégaiement?

Peut-être, mais pas forcément, souligne la chercheuse. «Plusieurs études sont en cours, pour identifier une «génétique du bégaiement». Ce n'est pas quelque chose dont on hérite, comme la couleur de nos yeux ou de nos cheveux. Reste que des chercheurs se penchent présentement sur des populations très spécifiques, aux États-Unis, en Afrique et en Inde, où le nombre de bègues est très important», dit-elle.

Dans The King's Speech, on voit le roi George VI (joué par Colin Firth) se soumettre à une thérapie langagière très singulière, que lui dispense Lionel Logue (Geoffrey Rush), un orthophoniste australien aux méthodes peu orthodoxes. Il s'avère que la condition du pauvre homme s'améliore chaque fois qu'il se laisse aller à une logorrhée de vilains mots. Dans le film, le lien conflictuel entre le prince Albert (qui deviendra George VI) et son frère Edward (qui a renoncé au trône en raison de sa liaison avec Wallis Simpson) accentue également les difficultés du roi en devenir à s'exprimer publiquement.

Pas que psychologique

Mais cette façon de montrer le bégaiement comme un blocage associé à une quelconque répression est-elle pertinente? Selon Julie Fortier Blanc, il n'est pas totalement erroné d'associer les troubles d'élocution à la phobie de parler en public, tout comme elle juge que le bégaiement ne doit pas être réduit à sa seule dimension psychologique.

Dans sa biographie du roi George VI, l'auteur Denis Judd écrit que les méthodes de Lionel Logue «n'étaient ni extravagantes ni controversées. En revanche, l'approche de Logue n'était pas strictement psychologique et plusieurs de ses patients étaient rassurés d'apprendre que leurs difficultés pouvaient se corriger en améliorant leur respiration».

«Ce n'est pas une façon d'aborder le bégaiement qui est utilisée aujourd'hui», commente Mme Fortier Blanc, qui soutient que s'il avait vécu de nos jours, le roi George VI aurait eu droit à un soutien très différent. «Il aurait été vu par un orthophoniste qui, à partir de la description de ses symptômes, aurait établi des mesures post et prétraitement. Par la suite, il aurait fait un travail sur la façon de produire une parole plus fluide et arriver à parler comme une personne qui ne bégaie pas.»

Julie Fortier Blanc se réjouit toutefois qu'un long métrage (primé au plus récent Festival de Toronto) se soit penché sur le phénomène du bégaiement. «Je trouve très positif que l'on ait montré les difficultés de vivre des gens qui ont un problème de bégaiement. Mais il est important, aussi, de remettre les choses dans leur contexte: la profession d'orthophoniste est née dans les années 30-40. À cette époque, on entretenait toutes sortes d'idées sur la façon de traiter un problème», rappelle-t-elle.

Le prince Albert, après maints efforts et grâce au soutien de Logue et de ses proches, a finalement surmonté son problème de bégaiement pour prendre le trône et régner sur l'Angleterre pendant les sombres années de la Seconde Guerre mondiale.

Un roi bègue qui aura marqué le siècle dernier.