La dépendance à l'activité physique peut faire souffrir autant que celle à l'alcool ou aux jeux en ligne, mais elle est encore méconnue. Souvent, même, bien vue. Pourtant, elle peut détruire psychologiquement les gens touchés et leur entourage, causer des blessures, quand ce n'est pas la mort.

Une chercheuse du département de kinésiologie de l'Université de Montréal, Laurence Kern, en collaboration avec le Centre de recherche sur le sport et le mouvement de l'Université de Nanterre, à Paris, vient de mettre au point un outil d'évaluation de ce problème psychologique. Les critères d'évaluation sont essentiellement les mêmes que ceux servant à évaluer le degré de dépendance à une substance, et ils font l'objet d'un article dans la Revue européenne de psychologie appliquée.

Afin de mettre au point un questionnaire comportant 29 questions, les chercheurs ont recruté et suivi 160 sportifs assidus. Ces adeptes de l'activité physique (dont 60 % d'hommes) étaient des étudiants en sciences du sport et des membres (au nombre de 52) de différentes associations sportives de la France. Ils s'adonnaient tous à des sports dits « de loisir ».

Jointe par La Presse, la chercheuse Kern raconte que les participants à l'étude ont d'abord dû expliquer les raisons les poussant à pratiquer du sport régulièrement. Il s'avère que les sportifs se retrouvaient dans trois catégories : ceux qui le font pour socialiser, pour leur santé, ou encore pour maîtriser leur poids.

« Le volume et l'intensité de l'activité physique sont un critère, mais il y a d'autres caractéristiques, explique la Dre Laurence Kern. Par exemple, il y a la recherche de sensations. Il y a aussi la notion de souffrance et de perte de contrôle dans la dépendance à l'activité physique. On a remarqué, entre autres, que ce sont toujours les mêmes qui doivent aller chez les physiothérapeutes pour des blessures. »

Selon les travaux de la Dre Kern, les sportifs doivent commencer à se poser des questions quand ils deviennent incapables de diminuer l'intensité de leur pratique. Et un peu comme pour la drogue ou l'alcool, ceux qui souffrent de dépendance à l'activité physique disent devoir augmenter la fréquence de leurs séances pour parvenir aux effets désirés. En conséquence, ils sont aux prises avec une impulsion irrésistible de continuer en dépit des blessures, de la maladie, de la fatigue ou des obligations comme le travail, la famille et les rendez-vous avec les amis.

Transfert de dépendance

Fait intéressant, l'équipe de chercheurs constate que les risques de dépendance à l'activité physique sont plus élevés chez les sportifs qui le font pour maîtriser leur poids. « Il y a les dépendances primaires, mais aussi les dépendances secondaires, précise la Dre Kern. On constate que l'activité physique pour contrôler son poids peut cacher des troubles alimentaires, comme l'anorexie ou la boulimie. Récemment, en France, on a d'ailleurs constaté qu'un jeune marathonien mort lors d'une course souffrait en réalité d'anorexie grave. Il y a aussi les transferts de dépendance, comme de l'alcool aux sports. »

La prochaine étape de la recherche consistera donc à cibler les profils des accros aux sports. On veut aussi valider les résultats dans d'autres pays, comme en Inde, auprès des amateurs de cricket. « Ça ne fait qu'une quinzaine d'années qu'on se penche sur les dépendances comportementales comme les jeux en ligne ou l'internet, dit la Dre Kern. Les États-Unis ont déjà mis au point un questionnaire pour l'activité physique, mais il n'était pas adapté aux francophones. Il faut aussi introduire un programme de réadaptation pour amener ceux qui souffrent de dépendance aux sports à diminuer progressivement, sans s'abstenir complètement, comme c'est souvent le cas pour la toxicomanie. »

Quelques points à considérer

- Mon niveau de pratique entraîne de la fatigue à mon travail.

- Si je ne peux pas faire d'exercice, je me sens irritable.

- J'ai pris la décision de faire moins d'exercice, mais je n'y arrive pas.

- Si je ne peux pas pratiquer de sport, je rate ma vie sociale.