Un Québécois sur deux pourrait être atteint d'un cancer au cours de sa vie. Le diagnostic sonne souvent comme un arrêt de mort, même si plusieurs y survivent aujourd'hui. Espérant une guérison miracle, plusieurs s'accrochent aux livres de psychologie populaire sur la pensée positive et l'autoguérison. Les émotions ont-elles un réel pouvoir sur le cancer?

Marika Audet-Lapointe est psychologue en oncologie. Tous les jours, elle reçoit à son cabinet des patients démolis et complètement épuisés. Par la maladie certes, mais aussi par les fausses croyances. En raison de leur attitude, les malades se sentent responsables de leur cancer. «C'est un lourd fardeau à porter», déplore-t-elle.

Malgré l'absence de preuves scientifiques, les librairies regorgent de livres de psychologie populaire, aux titres accrocheurs, prônant l'efficacité de la pensée positive pour prévenir le cancer ou en guérir. «Le cancer est une maladie multifactorielle très complexe, hautement imprévisible, qu'on comprend encore mal. En 2011, on fait tout pour soigner le patient dans sa globalité, mais il faut faire attention à la solution magique», indique Marika Audet-Lapointe, présidente du Regroupement des onco-psychologues du Québec.

Il existe plus de 200 types de cancers qui ont leurs propres déterminants comme l'hérédité, les hormones, les virus et les habitudes de vies comme le tabagisme. Il est difficile, voire impossible, de mettre le doigt sur les causes médicales. Les malades déduisent donc qu'il est d'origine psychologique. «L'idée d'avoir du pouvoir sur la maladie est séduisante dans une société qui valorise le contrôle personnel», indique Josée Savard, professeure à l'École de psychologie et chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de l'Université Laval.

Médecin spécialisé en soins palliatifs, le Dr Serge Daneault se désole aussi de la popularité de la pensée positive auprès de ses patients en phase terminale. «C'est une mouvance. C'est le propre de l'être humain de chercher du sens devant l'inconnu. Avant, on trouvait ce sens dans la religion, aujourd'hui on cherche ailleurs. Or, les théories psychologisantes ne valent pas plus que de prier à l'Oratoire Saint-Joseph. Ce n'est pas rationnel.»

Mais quand le miracle est annoncé par un expert - et pas un charlatan -, il est d'autant plus tentant d'y croire. L'accueil public réservé au livre Le pouvoir anticancer des émotions du Dr Christian Boukaram en fait foi. Un mois après son lancement, il figure parmi les meilleurs vendeurs chez Archambault et Renaud-Bray. Chef du service de radiochirurgie de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr Boukaram est en vedette au Salon du livre de Montréal ce week-end. Son livre, pourtant, est loin de faire l'unanimité.

Le but de l'auteur: aider les lecteurs à mieux composer avec leurs émotions pour «vivre une vie heureuse, en parfaite communion» à l'aide d'une série de conseils. Pourquoi? Le Dr Boukaram écrit: «Selon des expériences, les cellules cancéreuses se multiplient trois fois plus vite en présence d'émotions négatives ou pendant des états d'anxiété ou de désespoir». Il écrit aussi: «Selon des études récentes, des conditions anxiogènes intenses peuvent provoquer une hausse spectaculaire (30 fois) de l'agressivité du cancer et favoriser l'apparition de métastases». Il soutient que «seule l'idée qu'on pourrait avoir le cancer serait un autre facteur de risque du cancer» et, à l'inverse, qu'«on peut grandement augmenter les chances de guérison» avec la méditation, l'hypnose et le biofeedback.

Controverse

Le hic, c'est que rien de tout cela n'est prouvé. Plusieurs personnes atteintes de cancer renversent des pronostics défavorables, certes. Mais d'autres comme Jack Layton ou David Serban-Shreiber succombent. «Si ces personnalités, qui semblent si positives et sereines, meurent du cancer, imaginez le découragement des patients qui croient en la pensée positive? Ça peut mener à une importante détresse psychologique, voire à la dépression», déplore Josée Savard, qui parle de «tyrannie» de la pensée positive. Elle a lu le livre Le pouvoir anticancer des émotions et crie à la tromperie.

Pour étayer sa position, le Dr Boukaram présente une liste impressionnante de données scientifiques, dont les références sont disponibles uniquement sur la page web de l'éditeur. Le problème? «Il a sélectionné uniquement les études qui montrent un lien entre les facteurs psychologiques et le cancer. Or, on sait que la majorité des études ont échoué à démontrer un tel lien. Pourquoi n'en fait-il jamais mention? Il n'y a aucun consensus scientifique. C'est de la malhonnêteté intellectuelle incroyable», affirme Josée Savard.

En entrevue, le Dr Boukaram rétorque qu'il ne croit pas aux études épidémiologiques. La science est rendue ailleurs selon lui. On assiste «à une révolution, à un éveil» grâce aux découvertes en épigénétique (qui étudie l'influence de l'environnement sur les gènes) et en psycho-neuro-immunologie (qui étudie les facteurs psychologiques sur le système immunitaire). «Les preuves sont aujourd'hui indéniables», assure-t-il.

Le Dr Boukaram omet de mentionner que, parmi les résultats d'études cités, plusieurs ont été obtenus en éprouvette ou sur des animaux, souligne Marika Audet-Lapointe. Elle aussi a lu son livre. «On ne peut prétendre que ces résultats sont transposables à l'humain», dit-elle. Josée Savard, qui mène des recherches sur la relation entre facteurs psychologiques et système immunitaire, confirme. «Quand on parle de stress sur des cellules, on ne peut extrapoler et parler d'anxiété chez l'humain.» Elle ajoute: «Les facteurs psychologiques peuvent moduler le réponse immunitaire, mais on n'a pas réussi à prouver que ça a un impact sur le cancer.»

Qu'en pensent les oncologues? «Des preuves indéniables, il n'y en a vraiment pas. Tout ce qu'on a, ce sont des études épidémiologiques contradictoires. Il y a une indication indirecte, mais on n'en sait pas plus», affirme le Dr Khalil Sultanem, président de l'Association des radio-oncologues du Québec. Les autres membres du conseil exécutif de l'AROQ sont du même avis, précise-t-il. «La pensée positive n'a pas sa place en oncologie», pense le Dr Pierre Audet-Lapointe, président de la Coalition Priorité Cancer au Québec.

On doit néanmoins s'intéresser aux nouvelles pistes de recherche, selon le Dr Sultanem. «On est loin de connaître tous les facteurs sous-jacents au cancer. Il est bon d'inciter les membres de la communauté médicale à s'ouvrir l'esprit et penser out of the box. Avant de conclure qu'une hypothèse est vraie, il faut toutefois la prouver scientifiquement.»

Marika Audet-Lapointe est du même avis. «Nos connaissances dans les plans de traitement, en épigénétique par exemple, ne m'apparaissent pas encore suffisamment solides pour être communiquées sainement à la vulnérabilité de nos patients. On ne devrait pas publier de résultats tant qu'on n'est pas convaincu que ça fonctionne. Le problème, c'est que l'hypothèse du Dr Boukaram est tellement peu documentée que c'est dangereux de présenter ça au public.»

«Tant que ça n'interfère pas avec les traitements prouvés, je ne vois pas de problème avec cette approche, dit le Dr Sultanem. Il faut mettre le patient en contexte et souligner qu'il n'y a pas de preuves pour ne pas créer de faux espoirs. Si ça peut aider à la qualité de vie, pourquoi pas?»

«Personne ne peut guérir d'un cancer avec la gestion du mental sans traitement médical, souligne en entrevue le Dr Boukaram.Les émotions, ce n'est pas miraculeux. Elles ne causent pas le cancer et ne le guérissent pas non plus. Tu peux développer des outils pour te sentir bien maintenant et ça pourra peut-être changer tes statistiques.»

Dans Le pouvoir anticancer des émotions, il conclut: «Si la maladie se déclarait, vous pourriez au moins vous dire que vous n'avez jamais jeté de l'huile sur le feu. Quant aux patients atteints de cancer, tous ces conseils agiront en synergie avec les traitements médicaux et permettront de contrôler le cancer encore mieux, pour que son cours soit plus bénin.»

Josée Savard n'en démord pas. «S'il voulait écrire un livre sur ses croyances personnelles et ses opinions, il ne fallait pas le déguiser en ouvrage de vulgarisation scientifique.» Marika Audet-Lapointe est préoccupée. «Il est vrai qu'il est inadmissible de tuer l'espoir, mais est-il plus admissible de contribuer à créer de faux espoirs?»

Bien vivre son cancer

Recevoir un diagnostic de cancer est une expérience éprouvante. Vivre la maladie l'est tout autant. Une attitude positive et sereine, si elle ne peut chasser le cancer, peut néanmoins améliorer la qualité de vie des patients. «Le défi de vivre avec le cancer, c'est un art qui se cultive et qui s'apprend doucement, pas à pas. Ça ne s'apprend pas dans une boîte de Cracker Jack, soutient Marika Audet-Lapointe, onco-psychologue. Le patient doit prendre conscience que bien composer avec ses émotions peut permettre d'améliorer la vie pendant le cancer

Le Dr Serge Daneault, médecin spécialisé en soins palliatifs, abonde dans son sens. «Il est important de cultiver ce qui nous fait plaisir, ça a un effet positif prouvé. Ça peut réduire le besoin de médication, améliorer la qualité du sommeil et réduire la douleur. Ça aide à passer des jours meilleurs, pour les patients comme pour leurs proches.»

Bien vivre la maladie diffère d'un individu à l'autre. «Certains trouveront du bonheur dans le travail, d'autres dans la lecture ou le yoga. Il n'y a pas une recette pour tous. Pour quelqu'un, une séance de relaxation peut être très stressante!» souligne Marika Audet-Lapointe.

Personne ne sera jamais heureux d'avoir un cancer et il est normal de vivre des émotions négatives, souligne Josée Savard, onco-psychologue et auteure de Faire face au cancer avec la pensée réaliste. «Si cette émotion négative est très intense et persiste, c'est un signal d'alarme. On ne doit pas hésiter à demander de l'aide.» Des psychologues en oncologie sont maintenant présents dans la majorité des équipes de soins en milieu hospitalier.

Toutes les émotions ont leur rôle à jouer, même en prévention, rappelle Marika Audet-Lapointe. «Si j'ai une bosse sur un sein et que mon anxiété me pousse à consulter rapidement, elle est constructive. Si elle m'incite plutôt à l'évitement et la négation, elle est destructrice.» Parfois, c'est la chimiothérapie qui induit anxiété et dépression, sans égard au vécu.

Culte du non-mourir

Tous s'entendent: il faut cesser de parler du cancer comme d'un combat, de la mort comme d'un échec. «C'est un courant fort, amené par la pensée positive, qu'on essaie de nuancer. Combien de fois a-t-on entendu ou lu: «Jack Layton a perdu son combat» ? déplore Marika Audet-Lapointe. Au contraire, il semble avoir vécu la fin de sa vie comme il le souhaitait. Ce n'est pas un échec.»

«Cette quête de la guérison à tout prix et cette peur de la mort est propre à notre société occidentale post-chrétienne. On ne voit pas ça chez les bouddhistes ou les musulmans. Ça témoigne d'un vide récent, mais important», souligne le Dr Serge Daneault, auteur du livre Et si mourir s'apprivoisait. «Ici, on a un culte du non-mourir. Il ne faut pas que ça devienne un vivre à tout prix», ajoute Marika Audet-Lapointe.

NDLR: Précision Dr Christian Boukaram



Le pouvoir anticancer des émotions : un ouvrage à mille lieux de la pensée magique

Ceux qui ont lu Le pouvoir anticancer des émotions le savent: ce livre ne parle pas de pensée magique ni ne propose de cure-miracle. Il prône plutôt un réalisme face à la mort et à la maladie. Il traite non seulement des émotions, mais aussi de la connexion corps-esprit et de la conscience. Il est en concordance avec un virage important au sein de l'oncologie : l'oncologie intégrative. Cette approche s'intéresse au traitement médical du cancer, mais aussi au «terrain» de la maladie et, par conséquent, à la prévention, ainsi qu'à la vie après le traitement. L'intention du livre est d'apporter une perspective nouvelle en regard des dernières découvertes scientifiques, qui démontrent que les gènes ne sont pas notre destin et que l'ADN interagit avec l'état mental.

Une multitude d'études récentes démontre qu'on ne peut plus uniquement faire la guerre aux cellules cancéreuses sans tenir compte de l'environnement dans lequel elles évoluent. Cet environnement comprend la souffrance psychique et ses médiateurs chimiques. Ceux qui s'attardent aux anciennes études négatives (soit celles n'ayant pas réussi à prouver ce lien) négligent l'importante quantité d'études positives, dont une méta-analyse récente, ainsi qu'une toute nouvelle étude de l'université de l'Ohio, menée sur une période de 11 ans, démontrant que les thérapies de soutien psychologique peuvent augmenter la durée de survie des patients atteints de cancer et réduire les risques de récidives. Le neuropsychiatre David Servan-Schreiber, qui prônait une approche intégrative, a «défié» ses statistiques médicales alors qu'il était atteint d'un cancer fulgurant: il a vécu 3 fois plus longtemps que la médiane des patients dans sa situation.

Si ces récentes découvertes nous ouvrent de nouvelles voies très prometteuses, insistons toutefois sur quelques points importants:

1. Le cancer est une maladie complexe et multifactorielle. Le cancer n'est pas une maladie psychologique et le «stress» n'est pas la cause du cancer.

2. Il n'y a pas de recette miracle pour le bien-être, et seuls les traitements médicaux peuvent mener à la guérison. Le bien-être peut diminuer les douleurs et les effets secondaires des traitements, améliorer l'adhérence au traitement, jouer sur les habitudes de vie ou intervenir dans les processus d'auto-guérison du corps (en anglais, healing), mais il ne peut pas guérir un cancer.

3. Les traitements complémentaires présentés dans ce livre, tel que l'hypnose, le yoga et la méditation ne sont pas "ésotériques", ont été validés scientifiquement et sont même déjà accessibles au sein des plus grandes institutions oncologiques. Une quantité importante de patients en font déjà usage, car ils apprécient la possibilité de participer à leur thérapie. Il a même été démontré qu'elles peuvent permettent de réduire les coûts relatifs aux soins de santé et aux hospitalisations. Cela dit, si elles n'offrent aucunement une garantie de succès, rappelons-nous qu'il en va de même avec nos traitements dits conventionnels. Est-ce là une raison valable pour écarter un ajout bénéfique au traitement?

Je suis un médecin spécialiste et je suis fier de travailler quotidiennement au raffinement des techniques de traitement du cancer, mais je suis aussi persuadé que nous aurions avantage à modifier certaines croyances afin d'améliorer la qualité des soins dispensés. À moins de jouer à l'autruche, il y a suffisamment de preuves qui démontrent maintenant que le mal-être brime non seulement la qualité de vie, mais peut aussi affecter négativement les résultats médicaux. Je crois fermement qu'en tant que médecin, ignorer ces informations émergentes serait aller à l'encontre de mon devoir.

Dr Christian Boukaram