Trente ans après la détection du premier cas de VIH-sida, la maladie fait encore des victimes. Au Québec, on estime que 18 000 personnes vivent avec le VIH-sida. Un facteur de risques sous-estimé? L'amour. À l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida demain, 1er décembre, La Presse fait le point.

Love Hurts, chantait Nazareth dans les années 70. Quarante ans plus tard, cette chanson est toujours d'actualité, surtout quand il est question du sida. L'amour, parfois, rend malade. «Il a été démontré de façon scientifique que le fait d'être en amour est un risque important de contracter le VIH. C'est aussi vrai chez les hétéros que chez les gais», affirme le Dr Réjean Thomas, président de la clinique l'Actuel.

Vous pensiez que le sida menaçait avant tout les célibataires et collectionneurs d'aventures sexuelles? Détrompez-vous. C'était vrai dans les années 80, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. À peine 25% des gais ont des relations sexuelles non protégées avec des partenaires occasionnels. Chez les hommes en couple, c'est l'inverse: environ 80% des gais ne se protègent pas (c'était 60%, en 1993), selon des chiffres cités dans les travaux de Martin Blais, professeur au Département de sexologie de l'UQAM. Il a étudié l'intimité comme contexte de vulnérabilité au VIH chez les gais.

On peut présumer que les hommes, en couple, passent des tests de dépistage avant de mettre de côté le préservatif. Ce n'est pas toujours le cas, note le Dr Thomas. «Même quand des tests ont été passés, souvent ceux-ci ont été faits il y a un moment déjà. Les gens ont pris d'autres risques après. On voit beaucoup de cas d'infections comme ça. C'est la nature humaine de faire confiance.» Surtout lorsqu'on est amoureux.

«Si nous voulons qu'une relation amoureuse dure, nous devons prendre le risque de faire confiance. Malheureusement, ce qui est bon pour l'amour peut être dangereux pour la santé et ce qui est bon pour la santé pose une menace pour l'amour», résume Martin Blais dans un article publié dans Culture, Health and Society en 2006. «Le préservatif peut devenir synonyme d'une méfiance qui est difficilement conciliable avec le sentiment amoureux, car celui-ci repose sur la confiance et s'accompagne de familiarité. L'amour rend aveugle au risque», dit-il.

«Le sentiment amoureux s'accompagne aussi parfois d'un fantasme de fusion très fort, dont le prolongement est la réunion jusque dans la mort, explique le chercheur. Ce fantasme rend implicitement acceptable l'idée que vivre avec le VIH aux côtés de l'autre constitue une forme d'engagement, de combat commun. Au moment de décider si l'on utilise un préservatif, on minimise donc la gravité de l'infection. L'amour transforme en quelque sorte le risque en projet de couple.

«Chez les homosexuels, dont l'expression de la sexualité n'a pas été institutionnalisée au sein du couple, la prise de risque est une tentative de stabilisation de la relation intime et une réitération de la confiance mutuelle», ajoute Martin Blais.

Selon le professeur, il n'est même pas nécessaire d'être amoureux pour parler de risque. «La promesse d'un amour, le sentiment que ce partenaire est LE bon suffit parfois à faire diminuer la vigilance à l'égard des risques encourus.»

La tendance est la même chez les couples hétérosexuels, précise le Dr Réjean Thomas. Du moins, c'est ce qu'il remarque parmi sa clientèle hétérosexuelle de la Clinique A, ouverte en juillet dans le Vieux-Montréal. «Il y a 10 ans, les couples hétéros venaient passer des tests quand ils voulaient laisser tomber le condom. Maintenant, ils viennent passer un test de dépistage alors qu'ils ont déjà laissé tomber le condom. Ils veulent se faire rassurer, mais le risque est déjà pris.»

Le hic, c'est que les cas de sida sont aussi nombreux chez les hétéros que chez les gais et que, sur les 18 000 personnes qui vivent avec le VIH-sida, un individu sur quatre n'est pas au courant de son état. «Ça complique les choses, parce que les présomptions erronées sur son statut et sur celui du partenaire constituent une zone de vulnérabilité. Plusieurs personnes se croient séronégatives alors qu'elles sont séropositives», indique Martin Blais. La décision de se protéger ou non n'est pas prise selon le niveau de risque réel.

«Il faut optimiser le dépistage du VIH. C'est encore très tabou, dit le Dr Thomas. Les jeunes en parlent peu. Pour eux, c'est une maladie de vieux; pour les vieux, c'est une maladie de jeunes. Il faut remettre au programme l'éducation sexuelle dans les écoles. On parle d'une diminution de la pandémie dans le monde, mais ce n'est pas le cas au Canada. On peut faire mieux.»