Le ruban rose est mis à mal dans le film L'industrie du ruban rose de Léa Pool, tourné en grande partie aux États-Unis. On y dénonce le «pinkwashing», la culture rose bonbon liée au cancer du sein et le manque de recherche en prévention en raison du poids de l'industrie pharmaceutique. Au Québec aussi, on achète rose. On marche rose. On court rose. Doit-on cesser de le faire?

Selon Léa Pool, il faut plutôt cesser de croire qu'en «achetant du papier hygiénique rose, nous faisons ce qu'il y a à faire». Acheter rose, peut-être, mais pas aveuglément. «On voit beaucoup de rose, il peut y avoir des dérapages, reconnaît Nathalie Le Prohon, présidente de la Fondation du cancer du sein du Québec. On doit s'assurer, comme consommateur, que l'entreprise qui met en marché le produit remet les sommes amassées à un organisme reconnu.»

La Fondation du cancer du sein du Québec amasse en moyenne 7 millions chaque année. La principale source de revenus est la Course à la vie CIBC (2,7 millions lors de la plus récente présentation). Un dollar sur cinq vient plutôt de son initiative Achetez rose. «Nous nous assurons d'une entente «gagnant-gagnant» avec nos partenaires d'affaires et nous évitons de nous associer à des produits qui contiennent des ingrédients sur la liste noire de Santé Canada. La semaine dernière, nous avons refusé un shampoing et une boisson énergétique.» Cela dit, la Fondation n'a pas l'exclusivité du ruban rose. Au contraire. Les produits roses sont aussi vendus au profit de la Fondation canadienne du cancer, d'hôpitaux, mais aussi d'organismes américains, etc. Il s'agit même parfois de fausse représentation, note Mme Le Prohon.

Au Québec, 40% des investissements en recherche sur le cancer du sein sont faits par des organismes sans but lucratif. La Fondation du cancer du sein du Québec vient d'ailleurs d'accorder 8,1 millions à la recherche, dont 21% de cette somme à la recherche visant à trouver des pistes sur les causes. «Il ne faut absolument pas cesser de donner ou d'acheter rose, mais plutôt s'informer de la somme allouée à la recherche. Les organismes sans but lucratif financent une diversité de projets, ils investissent l'argent un peu différemment. C'est une très bonne chose», soutient le Dr Jacques Brisson, professeur à la faculté de médecine de l'Université Laval et directeur de la recherche au Centre des maladies du sein Deschênes-Fabia du CHAU de Québec. Il a reçu 848 395$ de la Fondation du cancer du sein du Québec pour un projet de recherche sur le rôle de la vitamine D.

Investit-on assez pour trouver les causes et prévenir le cancer ? «On adorerait financer davantage ce type de recherche, mais les projets du genre soumis lors de nos concours sont peu nombreux», dit Mme Le Prohon. Au Québec, il se fait de plus en plus de recherche en prévention, notamment sur l'environnement et le cancer. «C'est évident que j'aimerais qu'il y ait plus de recherche en prévention, dit le chercheur Jacques Brisson. Mais je crois que la lutte contre les problèmes de santé comme le cancer du sein exige de faire des efforts dans toutes les directions. En prévention et sur les causes, mais aussi beaucoup du côté du traitement et du dépistage. On veut que toutes ces femmes atteintes guérissent, c'est naturel.»

«Il y aura toujours des cancers, cela est inévitable. C'est biologique, souligne Michel L. Tremblay, directeur du Centre de recherche sur le cancer Rosalind et Morris Goodman de l'Université McGill. Qu'on le veuille ou non, plus de 50% des cancers se produiront inévitablement, même si vous avez le meilleur environnement de vie, la meilleure condition physique et la meilleure alimentation. Il faut donc trouver des façons de le détecter rapidement, d'identifier les cibles et de trouver de nouveaux médicaments. J'inclus ici la création de nouveaux vaccins anticancer.»

Au-delà de la nature des recherches, on doit aussi s'interroger sur les intérêts des sociétés privées qui les financent, note la militante Barbara Brenner (thinkbeforeyoupink.org), qui occupe une place importante dans le film de Léa Pool. Celle-ci dénonce notamment la société pharmaceutique Eli Lilly qui finance la recherche sur les traitements du cancer tout en commercialisant une hormone de croissance bovine potentiellement cancérigène présente dans le lait aux États-Unis (interdite au Canada).

Que penser, alors, du Fonds de recherche sur le cancer du sein Eli Lilly Canada de l'Université de Montréal créé par le Dr André Robidoux? Actuellement à l'extérieur du Québec, le Dr Robidoux n'a pu nous répondre. À l'Université de Montréal, on préfère ne pas se prononcer sur la controverse entourant la société. «Eli Lilly n'a pas d'influence sur la programmation de recherche qui est déterminée par le chercheur, et ce, sous la gouverne des règles éthiques de l'Université de Montréal. Ainsi, le chercheur ne peut pas être membre d'un comité consultatif d'Eli Lilly. Il y a donc indépendance. La majeure partie des fonds provient d'organismes subventionnaires. Une partie moindre vient de donateurs», indique Flavie Côté, conseillère principale des relations médias de l'Université de Montréal.

Et que penser, d'autre part, de la participation financière de Rio Tinto Alcan au Groupe de recherche et de prévention en environnement-cancer mis sur pied en 2010 par la Société de recherche sur le cancer ? Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'OMS a répertorié «107 agents, mélanges de substances et situations d'exposition comme étant cancérogènes pour l'homme. Parmi ceux-ci figurent [...] les agents émis par la production d'aluminium et de charbon, la fonte d'acier et de fer».

Si L'industrie du ruban rose suscite réflexion, il ne faut pas oublier que la recherche porte ses fruits, assure-t-on à la Fondation du cancer du sein du Québec. Le taux de survie est passé de 71% en 1974 à 88% en 2008. Léa Pool se demande pourquoi 1 femme sur 9 risque d'en souffrir au cours de sa vie, alors que c'était 1 sur 22 il y a 50 ans. «En grande partie parce qu'il est diagnostiqué plus tôt, ça donne l'impression qu'à un âge donné, il y a plus de cancer du sein, explique le chercheur Jacques Brisson. Le fait que les femmes aient des bébés plus tard explique aussi l'incidence à la hausse, tout comme la consommation d'hormones de remplacement à la ménopause, qui étaient très populaires dans les années 90.»

«Les fonds de recherche sur le cancer du sein sont primordiaux. La grande majorité des chercheurs académiques en cancérologie reçoivent très peu du privé et ne sont absolument pas sous sa direction, insiste le chercheur Michel L. Tremblay. Jusqu'à maintenant, les recherches ont permis des avancées importantes quant aux connaissances, aux traitements et aux pronostics des femmes atteintes de ce cancer. Plus encore, c'est la recherche dans ce domaine qui a amené, dans bien des cas, une révolution dans la compréhension et la survie des patients atteints de divers cancers.»

Pour des trucs sur comment acheter rose et pour consulter la liste des sociétés associées à la Fondation du cancer du sein du Québec: rubanrose.org/fr/achetez-rose

La Fondation du cancer du sein du Québec a donné 23 millions à la recherche depuis sa création, il y a 17 ans. Elle consacre 60% des fonds à la recherche et 40%va en soutien aux femmes démunies. Aux États-Unis, la Fondation Susan G. Komen for the Cure a donné 1,9 milliard depuis 1982 pour financer la recherche et des campagnes de sensibilisation.

Une Canadienne sur neuf risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Le taux de mortalité attribuable au cancer du sein a chuté de plus de 25% depuis 1986.

Au Québec, on estime à 6200 le nombre de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein cette année dont 1300 (21%) en mourront.

Parmi la multitude de produits ornés du ruban rose : des barils de poulet chez PFK, des voitures (Ford), des produits de beauté, du vin, de l'essence, des gants de boxe et même des armes !