Environ 20 % des travailleurs ont des horaires de nuit. Pour répondre à leurs besoins - et attirer cette clientèle -, de plus en plus de commerces ouvrent jour et nuit. C'est le cas de supermarchés, de dépanneurs et de restaurants. Depuis peu, les centres de conditionnement physique emboîtent le pas et courtisent les oiseaux de nuit. Les clients sont au rendez-vous, pas en très grand nombre, mais réguliers.

«L'entraînement de nuit est une mode récente au Québec. Ça a commencé il y a environ cinq ans. Ça touche surtout les jeunes et les travailleurs de nuit», affirme François Prince, directeur du Département de kinésiologie de l'Université de Montréal. Il voit la tendance d'un bon oeil. «Plus les heures d'ouverture sont longues, plus nombreux sont les gens qui fréquentent les gyms et qui bougent», se réjouit-il.

Chez Monster Gym, à Dorval, les clients de nuit comptent pour 5% de la clientèle. C'est comme ça dans plusieurs gyms. Chaque nuit, une moyenne de 75 clients vont et viennent. En février, on a compté 2074 entrées entre 23h et 5h. «Ouvrir la nuit, c'est surtout une stratégie marketing, pour se démarquer de la concurrence «, dit Vincent Sheffield, directeur. Les membres de nuit ont droit à un tarif réduit, mais la piscine est fermée et les entraîneurs absents.

À Delson, le Club Proform est ouvert 24h la semaine depuis sept ans. «Les gens sont plus nombreux à avoir des horaires de travail variés. Il y a donc une demande», indique Anick Doré, copropriétaire de la chaîne. Si la plupart des abonnés s'entraînent après leur quart de travail, une nouvelle clientèle très matinale s'est ajoutée. «Pour éviter les bouchons sur les ponts, les gens travaillent désormais plus tôt. Certains s'entraînent dès 3h30 !»

Au Gym du Plateau, à Montréal, on ouvre la nuit depuis 15 ans déjà. «Ça permet d'éviter les heures de pointe. La clientèle est mieux répartie, tout au long de la journée», dit le directeur Yoann Abecassis. Même constat aux deux succursales de Gym V.I.P., dans Lanaudière. «Il y avait une grande demande. On remarque un va-et-vient constant toute la nuit, avec une accalmie vers 2h «, dit David Léveillé, directeur.

Chez Énergie Cardio, on scrute la tendance avec attention. «C'est un concept qui commence lentement à se répandre au Québec. Nous aimerions ouvrir la nuit dans un avenir rapproché pour demeurer compétitif», indique Alain Beaudry, président de la bannière. Son équipe prévoit faire une étude de marché, prendre le pouls des membres de gyms indépendants et, le cas échéant, élaborer des mesures pour assurer la sécurité des membres et employés. «On souhaite prendre une décision éclairée», dit M. Beaudry.

Bon ou mauvais ?

«C'est une mode aujourd'hui de vivre de nuit, surtout en raison de la productivité que la société impose», indique Gilles Lavigne, chercheur au Centre d'études avancées en médecine du sommeil de l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Une mode qui n'est pas sans risques. Notre corps fonctionne selon le rythme de la lumière. La mélatonine, qui favorise la relaxation et le sommeil, est habituellement sécrétée en début de nuit. L'exposition à la lumière à ce moment diminue, voire élimine, la sécrétion de mélatonine, et maintient à un niveau anormalement élevé le taux de cortisol (hormone liée au stress). L'horloge biologique ne s'ajuste pas. Les conséquences ? «Ça peut engendrer des troubles du sommeil, de l'humeur «, indique Gilles Lavigne. On parle aussi d'une possibilité de risques accrus de certains cancers et de maladies cardiovasculaires. «Ceci dit, chaque individu s'adapte bien ou pas à l'horaire de nuit selon son phénotype «, souligne le spécialiste du sommeil.

Une bonne nouvelle: la pratique du sport augmenterait la capacité de s'adapter à un horaire de travail de nuit, selon des chercheurs français. La prudence est néanmoins de mise. «L'entraînement nocturne n'est pas différent, mais l'état de vigilance peut être moins présent. Je recommande de travailler avec des poids qu'on contrôle bien, d'adopter de bonnes postures, indique le kinésiologue François Prince. Si on est debout depuis longtemps, le corps répond moins bien aux stimuli cardiovasculaires, Pour un même exercice, comme la course, le corps est plus fatigué, l'effort est plus grand.» Il n'y a pas d'avantage de performance à s'entraîner de nuit, précise-t-il. Certains athlètes le font à l'occasion, en vue de diminuer les effets d'un décalage horaire avant une compétition à l'étranger.

Le pire momentpour s'entraîner ? Entre 2h et 4h du matin, croit Gilles Lavigne. «On sait que les risques d'accident de voiture augmentent à ce moment.» Il déconseille aussi de s'entraîner immédiatement avant le coucher et recommande une fenêtre de deux ou trois heures entre l'entraînement et le sommeil. Chacun sa génétique, son rythme. «Quand je m'entraîne le soir, j'ai l'impression de brûler mes dernières énergies, note Sébastien Beaulac, 27 ans. Je dors ensuite beaucoup mieux.»