André Charron avait l'impression d'avoir en permanence une grenade à la ceinture, dans les derniers jours. La grenade, c'était son téléphone portable, qui allait lui annoncer la mort de son père.

Le téléphone a finalement sonné au printemps dernier. Atteint de la maladie d'Alzheimer, André Charron père se mourait à petit feu depuis 10 ans. Il aurait fêté ses 90 ans dans trois ans. Mais il ne le savait pas, il ne le savait plus. Les neurones de cet homme d'affaires prospère, autrefois à la tête du groupe La Laurentienne et figure de proue de Mont-Tremblant, étaient en charpie.

André Charron a trouvé la mort de son père inacceptable. «Je me suis dit: ce n'est pas vrai que je vais rester là, les bras croisés, à ne rien faire. Il faut trouver un remède.» Depuis, il est en mission pour amasser de l'argent. «Ce n'est pas la brique et le mortier qui m'intéressent, dit-il. C'est la recherche. Il y a des médicaments pour la maladie d'Alzheimer, mais ils ne sont pas bons. Et on n'est même pas capable de poser un véritable diagnostic à moins de faire une autopsie. Il faut absolument trouver et tester des médicaments. Les chercheurs ont l'équipement voulu, mais ils n'ont pas de ressources.»

Il faut traverser le hall flambant neuf de l'Hôpital général juif pour accéder aux laboratoires de l'Institut Lady Davis, pas mal moins rutilants. La Dre Andrea LeBlanc, aussi professeure de neurologie et de neurochimie à l'Université McGill, reçoit La Presse dans un petit local. Des bouquins sont empilés jusqu'au plafond. Il y a tout juste assez de place pour deux chaises de travail.

La caspase-6

Il y a 1 an, après 22 ans de recherche à contre-courant des tendances, ses travaux ont suscité l'intérêt de la communauté scientifique internationale. «Tout le monde se penche sur la même chose depuis 20 ans: l'amyloïde. On a dépensé des milliards de dollars pour ces recherches. Il y a même eu un vaccin, mais on s'est rendu compte qu'il ne fonctionne pas et qu'il peut même être mortel. Moi, j'ai décidé de me pencher sur la cause initiale de la maladie, c'est-à-dire sur la caspase-6, plutôt que sur ses conséquences.»

La caspase-6 est une enzyme étrangement active dans les cerveaux atteints de la maladie d'Alzheimer, et ce, à tous les stades, a-t-elle constaté. Avec son équipe, la Dre LeBlanc a poussé ses travaux plus loin en étudiant des cerveaux humains. «On ne peut pas procéder autrement puisque la maladie ne touche aucune autre espèce dans la nature, rappelle-t-elle. Nous étudions donc des neurones humains. Et ce qu'on a constaté, c'est que l'enzyme caspase-6 ne tue pas les neurones, mais elle provoque une neurodégénérescence.»

Cela signifie que le processus de destruction des neurones pourrait être réversible. On peut donc croire que, un jour, il existera un test de dépistage précoce de la maladie d'Alzheimer, voire un médicament (inhibiteur). Mais pour y parvenir, il faudra plus d'argent. L'équipe de la Dre LeBlanc dispose d'un budget de recherche d'environ 150 000$ par année, qui doit servir à financer l'équipement et les salaires.

Front commun

La Dre LeBlanc estime qu'il est temps que neurologues, pathologistes et chercheurs fassent front commun dans la recherche. «Étudier un cerveau après la mort, c'est comme regarder une ville après une bombe ou examiner un cancer une fois qu'il s'est généralisé, explique-t-elle. Ça ne donne pas l'origine, la cause initiale. Il faut trouver l'évènement le plus précoce chez les gens atteints.»

Or, il n'y a plus de banque de cerveaux au Canada. Ceux qu'a pu examiner l'équipe de la Dre LeBlanc ont été obtenus grâce à des religieux aux États-Unis, qui ont accepté d'être suivis avant leur mort. Malgré tout, la chercheuse a bon espoir. «Les baby-boomers sont inquiets. On entend parler chaque mois d'un vieillard disparu faute de supervision. Avec le vieillissement de la population, le système de santé ne pourra plus faire face si on ne fait rien.»

André Charron, lui, s'estime heureux: sa famille a largement eu les moyens d'offrir une présence 24 heures sur 24 à son père, qui a eu accès à une bonne maison de transition et qui a fini ses jours aux soins palliatifs. Mais il n'ose même pas penser au calvaire que doivent endurer les gens moins fortunés. «Ce n'est pas vrai que je vais finir comme mon père, dit-il. Il y a un éveil à faire. On a une obligation sociale, et ce sont les gens dans la cinquantaine comme moi qui doivent faire quelque chose.»

Un baby-boomer sur cinq

Un baby-boomer sur cinq sera atteint de la maladie d'Alzheimer, selon les dernières prévisions de l'éminent Dr Howard Bergman, qui a déposé un rapport au gouvernement du Québec en 2009. Dans le monde, il est question de 66 millions de personnes dans 20 ans. En conséquence, le Dr Bergman a déjà recommandé d'augmenter l'accès au diagnostic et au traitement de la maladie d'Alzheimer, de créer un centre de soutien aux aidants naturels et de mieux financer la recherche sur la maladie. À ce jour, le gouvernement a annoncé la création d'un fonds pour les aidants naturels, mais pas de réel plan d'action concerté. Pendant ce temps, les sociétés nationales d'alzheimer estiment que la maladie engendre des coûts annuels de 604 milliards.