On parle souvent de la présence de mercure dans le poisson. Et, généralement, de façon assez alarmiste. La Presse a fait le test. Plus de 20 échantillons de thon sont passés au laboratoire, ainsi qu'une dizaine de... mèches de cheveux! Les résultats sont plutôt rassurants. Oui, il y a du mercure partout, mais à des taux qui respectent les normes canadiennes dans la plupart des cas. Et si la prudence reste de mise, même les femmes enceintes sont encouragées à manger du poisson. Mais pas n'importe lequel.

Un morceau de thon qui contient plus d'une partie de mercure par million ne devrait pas se retrouver dans un comptoir à sushis, ni dans une poissonnerie. Trop contaminé. Pourtant il y en a.La Presse a fait tester du thon frais par un laboratoire de biogéo-chimie. Un morceau atteignait la limite établie par Santé Canada, et deux la dépassaient, dont un qui contenait 30% plus de mercure que permis. Les échantillons contaminés provenaient de deux chics épiceries montréalaises.

Au total, plus de 23 échantillons sont passés par le laboratoire de biogéochimie et écologie aquatique du Dr Marc Amyot, de l'Université de Montréal. Du thon sous toutes ses formes: en conserve, pâle ou blanc, puis frais provenant de comptoirs à sushis ou d'épiceries et de poissonneries réputées. Tous contenaient du mercure, peu importe le prix payé pour le poisson, mais la grande majorité respectait les normes.

Les conserves de thon étaient toutes conformes. Un contenant de thon pâle contenait même 0,04 partie de mercure par million. C'est 12 fois moins que ce que permet la norme canadienne.

Montréal s'en tire donc mieux que New York, si on se fie à une étude semblable faite par le New York Times au début de l'année et dont les résultats étaient plutôt alarmants. Des groupes ont aussi testé le thon frais dans plusieurs villes américaines. Chicago, Los Angeles, San Diego obtenaient toutes de moins bons résultats. Les poissonneries et les sushis bars de Montréal sont-ils plus sûrs?

Ce sont plutôt les normes qui diffèrent, précise le Dr Amyot, le Canada étant plus permissif que les États-Unis dans ce domaine. Effectivement, à Santé Canada on confirme que les normes ont été établies en sachant que les Canadiens consomment généralement peu de poisson, encore moins de poissons prédateurs. Et en tenant compte des bienfaits des produits marins.

Consommer avec modération

On calcule le mercure de deux façons: d'abord la quantité de métal contenue dans le poisson, puis la quantité permise pour la consommation, selon le poids du mangeur.

«Il y a une tendance à revoir à la baisse les normes, explique le DrAmyot. Les Américains l'ont fait. Peut-être que nous allons vers ça aussi.» En fait, en plus du mercure, explique le spécialiste, le poisson contient d'autres contaminants. Des chercheurs se penchent de plus en plus sur la question, mais on ignore encore plusieurs effets de la consommation de poisson contaminé. D'où le désir d'établir des normes plus sévères, à défaut d'avoir toutes les preuves scientifiques entre les mains.

Santé Canada a justement revu ses normes l'année dernière. Mais plutôt que de baisser la limite de mercure acceptable dans le poisson, on a misé sur les exceptions. Trois espèces ont été ajoutées à la liste des poissons prédateurs qui peuvent contenir plus de mercure, et qu'on doit consommer avec modération. Puisque le thon frais (ou congelé), le requin, l'espadon, l'escolier, le marlin et l'hoplostète orange peuvent contenir deux fois plus de mercure que les autres espèces, on doit en manger moins.

«Personnellement, je crois que le mercure dans le poisson est relativement sans importance», indique le Dr Kern Lloyd Nuttall, consultant pour un laboratoire médical de Washington. Ce spécialiste émet de sérieux doutes sur la pertinence de multiplier les études sur le mercure dans le poisson, lui qui a pourtant participé à plusieurs recherches. «Est-ce que je mange du poisson? Vous pouvez en être certain. Est-ce que je m'inquiète du contenu en mercure? Presque jamais, dit-il. Par contre, on doit s'intéresser à l'augmentation de mercure dans notre environnement. L'utilisation du charbon, par exemple, rejette de grandes quantités de mercure dans l'atmosphère.

D'où vient le mercure?

Le mercure se retrouve naturellement dans la nature. Les volcans en émettent, notamment. Mais s'il n'y avait que les volcans, on ne parlerait pas souvent de cas de contamination: la majorité des émissions de mercure proviennent de sources industrielles. Le mercure étant très volatil, il peut voyager dans l'air sur de grandes distances avant de se déposer sur le sol. Ou dans l'océan. C'est ainsi qu'il se retrouve dans nos assiettes. Ce mercure marin est transformé en méthylmercure, la forme la plus dangereuse de mercure. Les petits poissons sont contaminés. Les plus grands, contaminés eux-mêmes, se nourrissent des petits. Augmentant du coup leur propre concentration.

Le cerveau en développement est particulièrement vulnérable au méthylmercure, d'où l'importance pour les femmes enceintes de considérablement limiter leur consommation de poissons prédateurs. Au Japon, en 1950, Minamata, un village de pêcheurs, avait été lourdement contaminé au mercure. Il y avait eu des cas de paralysie cérébrale, des problèmes psychomoteurs et de nombreux décès. Depuis, le pays du sushi a resserré ses normes: le thon rouge doit contenir un maximum de 0,4 ppm (parties par million) de mercure. Au Canada, les autorités tolèrent plus du double.

Pour un public informé

Aux États-Unis, l'organisme américain Got Mercury presse Washington de faire plus d'inspections sur les poissons. Il demande aussi aux poissonniers d'indiquer les espèces qui contiennent le plus de mercure afin que les consommateurs puissent faire des choix éclairés. Et aux consommateurs, Got Mercury conseille de ne plus acheter des poissons riches en mercure. Sur son site, www.gotmercury.org, on trouve même une calculatrice de mercure. On n'a qu'à indiquer la quantité et l'espèce consommées pour connaître sa propre exposition au mercure.

Kern Lloyd Nuttall croit que les considérations sur le mercure ne devraient pas éclipser les bénéfices liés à la consommation de poisson. C'est ce que craignent de nombreux spécialistes en santé: que les gens diminuent leur consommation de poisson, sans distinction de l'espèce, par crainte d'être contaminés au mercure.

«Même les scientifiques les plus alarmistes s'entendent, dit le Dr Marc Amyot. Il faut consommer beaucoup de bons poissons. La majorité des gens ne mange pas assez de poisson. Il faut simplement acheter ceux qui contiennent peu de mercure.»

NIVEAU DE CONTAMINATION

ÉLEVÉ

requin

maquereau

espadon

tile (doré de mer)

thon frais

marlin

escolier

hoplostète orange

MODÉRÉ

lotte

thon en conserve

carpe

flétan

doré

brochet

perche ou loup de mer

BAS

mahi-mahi

anchois

saumon

morue

crabe

aiglefin

homard

huîtres

sardines

crevettes

pieuvre

tilapia

truite

palourdes

LA CONTAMINATION PAR LE MERCURE

PRINCIPALES SOURCES DE MERCURE

Centrales thermiques alimentées au charbon

Incinérateurs de déchets municipaux, de boues d'épuration et de déchets d'hôpital

Fours de fusion

Combustion de charbon et d'autres combustibles fossiles

Cimenteries

Décharges ou installations d'entreposage de déchets de mercure

AUGMENTATION DE LA CONTAMINATION DANS LE TEMPS

Plus un poisson grossit, plus le niveau de contamination augmente. Dans certains cas, les niveaux de méthylmercure chez les poissons d'eau douce carnivores, comme l'achigan, le doré jaune et le brochet, et les poissons de mer comme le requin et l'espadon, sont jusqu'à un million de fois plus élevés que les niveaux dans l'eau environnante.

LES EFFETS DU MERCURE

Les animaux aquatiques qui vivent dans des milieux contaminés au mercure ont tendance à être plus petits et moins lourds, à présenter des difformités physiques et des troubles de la reproduction, et à vivre moins longtemps. Le mercure est une neurotoxine qui endommage ou détruit les tissus nerveux. Lorsqu'il pénètre dans l'organisme, il est transporté par le sang jusqu'au foie, aux reins et au cerveau où il provoque toute une gamme de symptômes neurologiques. Les mammifères qui accumulent des niveaux toxiques de mercure subissent une dégradation des fonctions cérébrales qui se traduit par des troubles du comportement et de l'alimentation, une perte d'équilibre, des problèmes de coordination et la paralysie des membres.

Source: Environnement Canada