Oui, il y a l'aide alimentaire, urgente et indispensable. Mais il faut aller plus loin. «Nous savons que le plus important, maintenant, est d'apporter de la nourriture et de l'eau aux Haïtiens. Mais il ne faut pas oublier que bientôt, les gens qui restent vont retourner à leur vie», explique Cristina Amaral, chef des opérations d'urgence à la FAO, la branche agroalimentaire des Nations unies.

Une dizaine de jours après le tremblement de terre en Haïti, l'organisme international veut attirer l'attention sur le rôle que doit jouer l'agriculture dans la reconstruction du pays. «Chacun des dollars qui est maintenant investi dans l'agriculture du pays sera de 20 à 50 dollars de moins en aide alimentaire plus tard», estime Mme Amaral, jointe à Rome cette semaine.

 

Le Programme alimentaire mondial orchestre l'aide alimentaire. Ses responsables ont évalué qu'il faudra nourrir deux millions de personnes pour les six prochains mois. C'est l'opération d'urgence. Parallèlement, la FAO songe déjà aux semis du mois de mars. Le pays ne doit pas que reconstruire les immeubles qui se sont effondrés: on doit, dès cette saison, planter les haricots, le maïs et les pois. Les Haïtiens ont besoin de semences, d'engrais et d'outils.

«Le soutient aux agriculteurs au cours des prochaines semaines est vital afin d'empêcher la sécurité alimentaire nationale de dégénérer, note la FAO. Des fonds sont également requis pour la remise en état des petites infrastructures agricoles détruites par le tremblement de terre, notamment les canaux d'irrigation.» La FAO estime qu'il faudrait consacrer plus de 20 millions de dollars à l'agriculture.

«Il faut leur donner l'espoir qu'il y aura de la nourriture et que cette nourriture, ils l'auront eux-mêmes produite, estime Cristina Amaral. Il faut mettre fin à la dépendance aux supports étrangers.»

Le pays fait face à d'énormes défis en matière d'agriculture. La déforestation et les ouragans qui frappent cette moitié de l'île d'Hispaniola font la vie dure aux cultures. L'accès à la terre pour les paysans est aussi un problème, note la représentante de la FAO.

«La contribution de l'agriculture dans le PIB haïtien est de 28%. Le paradoxe, c'est qu'elle occupe 66% de la main-d'oeuvre. Déjà, il y a là un grand déséquilibre, note Égide Karuganda, responsable du MBA développement international et action humanitaire, à l'Université Laval. L'agriculture est en fait du chômage déguisé.»

En 2008, quand le cours des denrées alimentaires s'est emballé, créant un effet domino dans les assiettes de la planète, Haïti a été un des pays les plus durement touchés. Les Haïtiens sont descendus dans la rue. La crise alimentaire est devenue crise politique.

Cette tragique situation a mené à une nouvelle façon de voir l'aide alimentaire. Des intellectuels de l'agriculture ont en choeur conclu qu'on devait revoir cette façon de jouer au ping-pong avec la nourriture. L'idée n'est pas de fermer un pays au commerce international, au contraire, mais il faut ramener un minimum de cultures vivrières afin que chaque État puisse affronter une tempête alimentaire.

C'est ce que croit aussi Joséfina Stubbs, directrice de la région Amérique du Sud et Caraïbes au Fonds international de développement agricole, le FIDA. Les paysans auront un rôle crucial à jouer dans la reconstruction d'Haïti, dit-elle. Port-au-Prince détruit, plusieurs survivants quittent la ville pour s'installer chez des parents, à la campagne. «Pour la communauté internationale cette catastrophe est aussi une occasion de transformer les choses à long terme, explique Mme Stubbs. Mais c'est le pays qui doit prendre le leadership. Haïti doit être entre les mains des Haïtiens.»

La FAO et le FIDA travaillent ensemble à Haïti. Ils ont mis sur pied un programme pour aider les agriculteurs à mettre la main sur des semences de qualité. L'année dernière, ils ont distribué 25 000 trousses de jardinage, contenant des outils qui permettront aux familles de faire des jardins.

Agriculture urbaine

La FAO envisage maintenant de lancer un projet de potager urbain, compte tenu du nombre de personnes déplacées. Cela permettrait aux familles d'avoir accès à des légumes. Le jardinage, aussi futile cela puisse-t-il paraître en situation de crise, est très valorisant. «Les jardins potagers peuvent avoir un impact bénéfique important sur le moral des survivants du tremblement de terre, plaident les responsables de la FAO. Et si cela est fait correctement, la pression sur l'environnement déjà si dégradé du pays s'en trouvera atténuée.»

En Haïti, on ne parle pas d'agriculture urbaine comme d'un passe-temps chic pour faire pousser des légumes bios: c'est un moyen de se réapproprier son alimentation. La FAO travaillait déjà sur la culture en ville. «Nous avons un programmes avec des femmes, explique Cristina Amaral. Nous fournissons les semences et implantons des techniques d'irrigation. Elles utilisent des petits bouts de terres abandonnées ou alors leurs propres petites cours. Comme la volaille est très importante dans leur alimentation, elles ont aussi parfois quelques poulets.» Ce programme sera repris dans les prochains mois. Cristina Amaral est confiante que les Haïtiens retourneront en masse dans leurs jardins: «Je pense que les gens qui ont beaucoup souffert ont plus de capacité à se relever et continuer.»

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