Les comportements alimentaires à risque - se faire vomir, sauter des repas, s'entraîner à l'excès, etc. - sont très fréquents, s'inquiète Stéphanie Couture, psychologue et chargée de cours à l'Université de Montréal. Environ 60% des jeunes femmes de niveau universitaire en souffriraient.

Dépister ces comportements rapidement permettrait d'éviter qu'ils ne dégénèrent en anorexie et en boulimie - des troubles graves de santé mentale touchant 3% des femmes, selon Santé Canada. Mais comment identifier celles qui sont à risque? Dans son doctorat, la psychologue a défini des traits de personnalité qui permettent d'expliquer 64% de la variance des symptômes de troubles des conduites alimentaires. «Ce modèle s'intéresse à des traits qui sont présents avant l'apparition de la maladie», a-t-elle expliqué à La Presse.

Mme Couture a soumis à 203 étudiantes de l'Université de Montréal des questionnaires évaluant 3 facteurs: leur aptitude à reconnaître et à répondre à leurs émotions et besoins (conscience intéroceptive), leur insatisfaction corporelle (évaluation subjective négative portée sur leur corps) et leur sentiment d'efficacité personnelle (en lien avec l'adoption de comportements alimentaires sains).

«Plus on a ces traits de personnalité, plus on a des comportements alimentaires risqués», a-t-elle dit. Les deux premiers facteurs ont été établis par la psychiatre allemande Hilde Bruch; le troisième est proposé par Mme Couture pour rendre le modèle encore plus efficace dans la prédiction des comportements problématiques.

Près de 12% des étudiantes trop maigres

Les étudiantes ont dû indiquer à quel point elles avaient «une terreur folle d'avoir des kilos en trop», se sentaient «extrêmement coupables après le repas» ou évitaient de manger quand elles avaient faim. Résultat: près de 18% d'entre elles présentaient un score «considéré comme indicatif d'une problématique», a révélé Mme Couture. Autre sujet d'inquiétude, 12% avaient un poids trop bas pour leur taille, davantage que prévu.

Quel traitement offrir? Les boulimiques qui ont du mal à réguler leurs émotions doivent apprendre, par exemple, à nommer les émotions qui les habitent avant leurs crises. «Ces femmes deviennent capables d'avoir des stratégies de régulation émotionnelle qui n'impliquent pas des comportements autodestructeurs», a dit la psychologue. Plus tôt elles sont traitées, meilleures sont leurs chances de s'en sortir.

Hausse des hospitalisations

Mme Couture déplore la «progression alarmante de la prévalence des troubles des conduites alimentaires» chez les femmes. «Quand on sait que chacune de ces femmes vit une grande souffrance psychologique, il y a de quoi s'inquiéter, a-t-elle souligné. Il faut aussi se souvenir que de nombreux symptômes physiques sont liés aux vomissements, à la prise de laxatifs et à la restriction alimentaire».

La preuve: les hospitalisations pour les troubles de l'alimentation ont bondi de 34% chez les adolescentes de moins de 15 ans et de 29% chez les jeunes femmes de 15 à 24 ans, de 1987 à 2002, selon Santé Canada.

Or, notre société banalise les comportements alimentaires à risque. «Ils sont souvent abordés avec légèreté, a regretté Mme Couture. On parle d'une nouvelle diète comme d'un nouveau parfum! Des études ont pourtant montré que le simple fait de se mettre à la diète peut pousser certaines personnes dans un cercle vicieux de restrictions, suivi de compulsions alimentaires. Banaliser les diètes, c'est oublier le coût énorme en matière de santé psychologique et physique que celles-ci peuvent avoir.»