Une étude révélant des taux inquiétants d'arsenic dans des barres de céréales, des laits maternisés et des gels énergisants a récemment suscité des craintes. Mais saviez-vous que l'arsenic est présent depuis toujours dans nos aliments et notre eau, à très faibles doses?

Faire un pouding à l'arsenic, comme dans Astérix et Cléopâtre, est une idée futée. Élément chimique d'origine naturelle, l'arsenic n'a ni goût ni odeur. Parfait pour empoisonner... à condition d'y mettre la dose létale.

«Toute matière vivante contient des traces d'arsenic», précise Santé Canada. Cela comprend vous et moi, et prouve qu'en très petite concentration, l'arsenic n'est pas mortel. Il reste que cet élément semi-métallique est cancérigène pour l'humain et qu'il vaut mieux en ingérer le moins possible.

C'est moins évident qu'il n'y paraît, même si on n'est pas le goûteur de Cléopâtre. «Les aliments sont la première source d'arsenic des Canadiens et l'eau potable, la deuxième, indique Bernard Lavallée, nutritionniste d'Extenso, le centre de référence sur la nutrition humaine de l'Université de Montréal. Il est estimé que les Canadiens consomment 48 microgrammes d'arsenic quotidiennement.»

«Des quantités d'arsenic sont détectées dans plusieurs aliments depuis assez longtemps, mais le risque est considéré comme faible», affirme le pharmacien Jean-Yves Dionne, qui aborde le sujet dans son blogue (www.jydionne.com).

Le poisson et la viande constituent 78,9% des apports alimentaires en arsenic, selon une enquête effectuée aux États-Unis. Lait, produits laitiers, céréales, pains, pâtisseries, fruits et légumes en contiennent aussi à faibles doses.

Pourquoi y a-t-il de l'arsenic dans les aliments?

L'arsenic n'est évidemment pas ajouté intentionnellement à la nourriture. Très répandu dans la croûte terrestre, cet élément se retrouve dans les eaux et le sol par érosion, à la suite de rejets industriels, etc. L'arsenic est aussi «utilisé comme additif dans les aliments destinés à la volaille et au bétail», rapporte Santé Canada. Des fongicides contenant de l'arsenic sont employés pour produire des fruits; un usage qui a heureusement cessé en Amérique du Nord, mais qui a laissé des traces.

«Les plantes qui poussent dans des sols contenant de l'arsenic vont l'absorber, explique M. Lavallée. Plus le sol en contient, plus les plantes en contiendront. Le riz est particulièrement efficace pour absorber les nutriments et autres produits chimiques.»

Aux États-Unis, beaucoup de riz pousse «dans des terres utilisées précédemment pour la culture du coton, pour laquelle on a utilisé des pesticides à l'arsenic», d'après Consumer Reports, un organisme de défense des consommateurs.

Dans le jus et le riz

Plusieurs études américaines récentes ont suscité des craintes. Consumer Reports a analysé des jus de pomme et de raisin, trouvant dans 10% des cas des concentrations en arsenic dépassant la limite fixée pour l'eau potable. Une étude du Dartmouth College a ensuite ciblé le riz, dont la consommation est liée à un plus haut niveau d'arsenic dans l'urine. Il y a 15 jours, ce sont des taux inquiétants d'arsenic dans des aliments sucrés avec du sirop de riz brun, dont des barres de céréales et des préparations pour nourrissons, qui ont été rendus publics, notamment dans La Presse.

Chez nous, Santé Canada a fait un rappel de jus de poire contenant trop d'arsenic, en 2008. «Santé Canada évalue l'exposition à l'arsenic provenant des aliments au cas par cas et agit si les niveaux sont jugés dangereux pour la santé humaine», indique Leslie Meerburg, porte-parole du ministère fédéral.

Les jus dénoncés par Consumer Reports ne seront pas retirés de nos épiceries, parce que le taux d'arsenic toléré dans le jus, au Canada, est 10 fois plus élevé que le maximum accepté dans l'eau potable. Pourquoi? Parce qu'on boit beaucoup moins de jus qu'on ne consomme d'eau. Quant au riz ou au sirop de riz brun, aucune concentration maximale d'arsenic n'est fixée par Santé Canada pour ces produits.

La solution: la variété

Que faire? Sébastien Sauvé, professeur en chimie de l'environnement à l'Université de Montréal, recommande d'éviter de consommer tout aliment contenant du sirop de riz brun, tant que sa teneur en arsenic n'est pas connue. Bernard Lavallée conseille d'éviter de consommer directement du sirop de riz brun, sans se priver des produits en contenant un peu, à l'exception des laits maternisés, «destinés à une population plus à risque», explique-t-il. Quant au riz, on peut le déguster l'esprit en paix, «dans le cadre d'une alimentation variée», conseille-t-il.

«Avant d'avoir le moindre symptôme lié à l'arsenic, il faudrait manger une boîte de barres de céréales par jour», estime Jean-Yves Dionne. L'arsenic contenu dans le sirop de riz brun, «c'est important, c'est préoccupant, mais ce n'est pas dramatique», selon le pharmacien. «Je suis beaucoup plus préoccupé par l'enduit blanc à l'intérieur des conserves de tomates, qui libère du bisphénol A.» Avis à ceux qui cherchent une nouvelle raison d'angoisser, entre deux bouchées...

Concentrations maximales acceptables d'arsenic au Canada

Dans l'eau potable

10 parties par milliard

Dans les jus de fruits, nectars de fruits, boissons

100 parties par milliard

Dans la farine d'os comestible

1000 parties par milliard

Dans les protéines de poisson

3500 parties par milliard

Aucune limite n'a été fixée pour les autres aliments.

Note: «Ces limites sont en cours de réévaluation», a dit Leslie Meerburg, porte-parole de Santé Canada.