Depuis quelques années, le discours sur l'hypersexualisation des jeunes ne cesse de gagner en popularité. On dénonce la mode sexy, les concours de «pipes» dans les écoles, la multiplication des «fuckfriends», les rapports sexuels précoces. Les ados d'aujourd'hui ont-ils vraiment une sexualité débridée? Dans une étude étonnante à paraître fin novembre, des chercheurs en sexologie de l'UQAM démontrent plutôt le contraire.

«Il y a un écart entre les propos qu'on entend dans les médias et ce qu'on lit dans la littérature scientifique. Même si le vêtement est parfois osé et que l'accès à la pornographie est facile, les scénarios sexuels des jeunes ont très peu changé. Certaines études notent même une entrée plus tardive dans la vie sexuelle», affirme Martin Blais, professeur de sexologie à l'UQAM. Il est l'auteur principal de La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens: regard critique sur le concept d'«hypersexualisation», une analyse qui sera publiée sous peu dans la revue internationale d'études québécoises Globe. Les résultats ont été présentés au Congrès canadien de recherche en sexologie, en septembre.

«Les cas hypersexualisés, comme la "carte à pipes", sont sensationnalistes et accrocheurs. Ça choque et ça inquiète, mais c'est loin d'être la norme, note Martin Blais. Si certains décrivent ces cas comme représentatifs d'une tendance lourde, c'est une erreur méthodologique et un manque de prudence.»

Les propos alarmistes sur l'hypersexualisation, peu fondés, pourraient avoir des répercussions sur les jeunes, notamment en créant de nouvelles normes, croit le professeur. «Si on donne aux jeunes l'impression que tous leurs camarades ont des rapports sexuels, n'est-on pas en train de leur faire croire qu'ils sont attardés sexuellement?» Le discours créerait-il ce qu'il tente d'éviter?

Majeurs et amoureux



À partir de récentes enquêtes, notamment de Statistique Canada et du Conseil des ministres de l'Éducation, les chercheurs de l'UQAM ont cherché des signes d'hypersexualisation chez les jeunes Québécois et Canadiens d'aujourd'hui.

Les principales conclusions de leur étude? Il faut attendre 18 ans, voire plus tard, pour que la moitié des jeunes d'aujourd'hui aient leur premier rapport sexuel. C'était 17 ans en 1980. C'est donc dire qu'actuellement, 50% des jeunes de 18 ans sont vierges. Au Québec, à peine 30% des jeunes nés au tournant des années 80 et 90 ont eu leur première relation sexuelle avant 17 ans.

Comment expliquer que le Conseil du statut de la femme établisse l'âge du premier rapport sexuel à 14,5 ans, alors que moins de 16% des jeunes Québécois ont alors eu un premier rapport sexuel? «C'est un défaut de compréhension statistique», notent les chercheurs. Si l'on se fie à l'âge moyen (plutôt que l'âge médian) au premier rapport sexuel, on exclut d'emblée les jeunes qui n'ont jamais été actifs sexuellement. Plus les cohortes sondées sont jeunes, plus grande sera la sous-estimation de l'âge au premier rapport sexuel. «L'entrée dans la vie sexuelle des nouvelles générations n'a pas la précocité généralement décriée», écrivent les auteurs.

Le premier rapport sexuel survient dans le cadre d'une relation amoureuse pour 83% des garçons et 85% des filles (2004). C'était 10% de moins (71,4%) en 1994. Chez les 72,4% de cégépiens actifs sexuellement, 89% ont eu dans la dernière année un partenaire sexuel avec qui ils se considéraient en couple. Le nombre de partenaires sexuels au cours de leur vie? Quatre. Une moyenne inchangée en 12 ans!

«Contrairement à l'hypothèse voulant que les relations orogénitales et anales soient banalisées, auquel cas on croirait qu'elles seraient largement pratiquées peu importe le type de partenaire sexuel, elles semblent réservées à un moindre nombre de partenaires et dont le degré de connaissance est plus élevé (partenaire amoureux ou ami-amant)», précisent les chercheurs.

Danse sandwich et sexe à trois

Selon une étude québécoise, 55% des adolescents auraient participé à des activités sexuelles de groupe et 85% y auraient assisté. Pour près de la moitié des participants (42%), ça se résume à la danse sandwich. «La danse sandwich, est-ce si nouveau? Je ne crois pas, note Martin Blais. Avec les nouvelles technologies, ce qui se passait autrefois dans le fond du cabanon se retrouve sur une webcam. On n'est pas si loin de ce qui se passait en pleine révolution sexuelle!»

Cependant, entre 3% et 6% des jeunes auraient participé à des activités plus explicitement sexuelles ou génitales: concours de masturbation, fellation, chandails mouillés, sexe à plusieurs et activité sexuelle sur webcam. «Les activités sociales sexualisées explicites ne concernent qu'une minorité de jeunes et, pour la majorité d'entre eux, il s'agit de pratiques isolées et non pas d'habitudes régulières», écrivent les auteurs. Ces activités seraient plus fréquentes chez un sous-groupe spécifique, soit les jeunes ayant subi une agression sexuelle, ceux entourés de gens travaillant dans l'industrie du sexe ou d'autres ayant déjà eu des partenaires d'un soir.

«Malgré une sexualisation grandissante de l'espace médiatique, les jeunes ont une sexualité plutôt conventionnelle. Ils accordent de l'importance à l'amour et à la famille, affirme le professeur Blais. Ils ont probablement un regard critique plus grand que celui qu'on leur prête habituellement.» Une analyse de l'Université de Windsor publiée en 2008 dans The Canadian Journal of Human Sexuality arrive au même constat.

«Il y a un alarmisme dont je ne vois pas les fondements, conclut Martin Blais. La sexualité des jeunes n'est pas décadente et rien ne laisse croire que ce sera pire dans les années à venir. Il ne faut pas penser que si vous laissez votre enfant seul le samedi soir, il va organiser un party de pipes!»

La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens : regard critique sur le concept d'«hypersexualisation». Martin Blais, Sarah Raymond, Hélène Manseau et Joanne Otis. Département de sexologie, Université du Québec à Montréal. Globe, 2009.