On ne drague plus aujourd'hui comme hier. Le premier rendez-vous n'a que peu ou rien à voir avec les rendezvous galants d'antan. La sexualité ne succède plus au sentiment. Mais parfois, elle peut étrangement y mener. Vous l'aurez deviné : l'internet a tout changé. Dix ans après La femme seule et le prince charmant, un essai qui décortiquait la quête de l'autre, Jean-Claude Kaufmann ne pouvait pas faire autrement: « Il fallait que j'actualise», explique le sociologue français, rencontré cette semaine à Montréal.

Célèbre pour ses analyses originales des petits riens de notre quotidien (et son impayable moustache!) - on se souvient de son portrait de la vie de famille contemporaine à travers notre rapport aux casseroles, dans Casseroles, amour et crises -, Jean-Claude Kaufmann récidive en analysant les nouveaux rituels de la drague, dans un monde dominé par l'internet.

«Tout apparaît plus simple dans les rencontres d'aujourd'hui. En fait, tout est devenu plus compliqué», écrit-il dans son tout récent ouvrage, Sex@amour, publié chez Armand Colin.

Tout paraît plus simple, car en l'espace d'un clic, on a accès à un nombre incalculable de personnes, avec qui il est tout aussi facile et rapide de se fixer rendez-vous. Oui mais voilà, démontre le livre, tout est en fait beaucoup plus compliqué, car les règles du jeu ne sont plus les mêmes. «L'internet a coupé la rencontre en deux temps», explique le psychologue, directeur de recherche au CNRS, à Paris. D'abord, il y a le temps passé sur la Toile («dominé par une certaine griserie, tout est possible, et qui nous entraîne très vite dans une histoire») et le temps offline, «dans la vraie vie», qui suit.

«L'internet n'est pas ici virtuel, précise Jean-Claude Kaufmann, car dès qu'on envoie une communication, on échange, on entre dans une relation. On peut se livrer très vite et entrer dans une intimité. D'où la phrase qui vient elle aussi très vite: quand est-ce qu'on prend un verre?»

Cela semble banal, un verre, mais cette rencontre est en fait très compliquée. D'abord, parce que les deux protagonistes, qui ont beaucoup échangé au préalable, se posent la même question: qu'est-ce qu'on va bien tricoter ensemble? Qu'est-ce qu'on va se dire? Qui va payer l'addition? Si c'est l'autre, est-ce que je m'engage à aller plus loin le premier soir? Justement, ce premier soir, est-ce qu'on couche ou pas?

Les avis sont très partagés, révèle le sociologue, qui a passé pas moins de 18 mois à naviguer d'un site de rencontre à l'autre, à suivre des blogues, à lire des forums de discussion, pour tenter de saisir ce nouveau rituel de la rencontre amoureuse.

Le sexe, un loisir comme un autre

D'ailleurs, il n'y a plus vraiment d'amour en jeu ici. Plutôt une «sexualité banalisée», au point où elle relève davantage du loisir que de la relation. «Cette transformation, c'est un processus qui a été très long, plus d'un siècle, explique-t-il. Et l'internet a accéléré considérablement le processus, au point où aujourd'hui, la sexualité est une technique de plaisir, de bien-être.» On couche ensemble «parce qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien», peut-on aussi souvent entendre sur les forums.

Du coup, on assiste selon le sociologue à une nouvelle «révolution sexuelle», discrète, mais néanmoins profonde. «Autrefois, toutes les histoires commençaient par le sentiment, pour peut-être aboutir à une relation sexuelle, dit-il. Or, il y a eu une inversion, depuis la révolution sexuelle des années 60. Mais si c'était d'abord subversif, aujourd'hui, cette inversion est banalisée, généralisée.» D'où le règne de ce qu'il nomme le «sexe-loisir».

À noter, si sur l'internet, le «terrain de chasse» est énorme pour les hommes, les femmes, elles, sont vite étiquetées si elles accumulent les conquêtes. «C'est une bonne illustration du fait qu'on est encore loin des égalités hommes-femmes.»

Le livre, truffé de témoignages glanés ici et là, se lit un peu comme un guide de survie: l'illusion de la facilité des débuts, la difficile première rencontre, et ses fréquents lapins («Et c'est normal, ce n'est pas de votre faute!»), le risque de se prendre trop au sérieux («Ce sont les personnes les plus sérieuses qui ont le plus de difficultés»).

Mais il y a quand même de l'espoir pour l'amour, avec un grand A (paradoxalement «un rêve de plus en plus fort»), conclut le sociologue. «La donne est nouvelle: cela commence par un jeu, le sexe-loisir, et c'est dans cet espace de jeu que peut finalement sortir une histoire qui va durer. Oui, il y a de l'espoir!»

Sex@amour

Jean-Claude Kaufmann

Armand Colin, 213 p.