Soeur Marie-Paul Ross, sexologue, porte un regard plutôt sombre sur la sexualité des adolescents d'aujourd'hui. Dans un livre à paraître vendredi, Sexualité des jeunes, petit manuel pour les parents, elle s'inquiète de voir les ados initiés de plus en plus tôt au «full sexe», victimes de l'omniprésence de la pornographie. On assiste chez eux à une «dégradation des valeurs», dit-elle. Un discours alarmiste ou une crainte justifiée?

«La seule connaissance de la sexualité qu'ont les jeunes est celle de la porno. Ils en arrivent à croire que c'est ce qui représente une sexualité épanouie. Plusieurs pratiquent le «full sexe», tandis que d'autres en sont incapables et se croient anormaux. La sexualité saine? Ils ne connaissent pas, déplore Marie-Paul Ross, en entrevue téléphonique. Les jeunes font des fellations et pratiquent de plus en plus le sadomasochisme. Ils sont dans une intimité propre à des gens plus âgés, parfois teintée de violence. Les parents n'en savent rien. Avec ce manuel, je souhaite remettre les pendules à l'heure et favoriser le dialogue entre les parents et leurs jeunes.»

Les adultes ont le devoir d'agir, insiste-t-elle. «Si on ne fait rien, nous les laissons baigner dans une société «pro-pornographique» et «pro-déviante». On considère le coït au même rang que le petit bec sur la joue. T'as le goût, fais-le. T'as le goût de prendre un coca, prends-le. On a minimisé l'effet profond que cela a dans la psyché. On en a fait un jeu, comme les concours de fellation dans les cours d'école. Le préado doit être capable d'être en relation et d'y aller selon son rythme.»

Les conséquences de l'hypersexualisation de la société peuvent être lourdes et mener à «une dégradation des valeurs», dit-elle. Elle écrit: «Cette dégénérescence produit presque inévitablement des femmes et des hommes désabusés sinon dégoûtés de leur image corporelle, aux prises avec du sexe sans amour, de l'initiation précoce, des compulsions incontrôlables les amenant à se désorienter, à se détourner de l'amour pour se fixer sur leurs performances sexuelles.»

Question de limiter les dégâts, soeur Ross y va de réflexions qui rappellent une autre époque: les jeunes devraient être abstinents jusqu'à l'âge adulte (voire plus); ne pas succomber au coup de foudre et ne pas se perdre dans les sensations fortes et l'euphorie; se méfier des fêtes de sous-sols propices aux dérapages; éviter de vivre des expériences sexuelles sans amour ou atypiques (ex.: homosexuelles pour un hétérosexuel); ne pas se masturber lors d'émotions négatives.

«Nos jeunes sont en crise, on leur dit: être un gars, c'est être performant et avoir la fille à tes pieds. Être une fille, c'est bien sucer. Ça crée un désordre psychique, affectif, sexuel et social. Ce qui me désole, c'est de voir à quel point la fille est devenue dominée par l'homme au plan sexuel. Avant, il y avait une crainte pour les filles d'être prises. Elles n'ont plus cette prudence. Et on montre aux garçons des trucs pour les appâter. Je rencontre des filles qui, à 20 ans, ont eu 30 ou 40 partenaires sexuels. Les brisures sont incroyables.»

L'importance de la nuance

«Plus on parle de sexualité des jeunes, mieux c'est. Mais encore faut-il que ce soit les bonnes choses qui soient dites, souligne Marie-Aude Boislard, professeure au département de sexologie de l'UQAM. Le portrait de la sexualité des adolescents dépeint dans les médias est souvent alarmiste et des comportements anecdotiques sont parfois rapportés comme s'ils étaient normatifs.»

D'ailleurs, rien ne permet d'affirmer à ce jour que la sexualité des jeunes est en crise. Aucune étude sérieuse n'a démontré que la pornographie est le principal modèle sexuel des jeunes. On ne sait pas non plus si une exposition à la pornographie influence directement le comportement sexuel des jeunes et, si tel est le cas, s'il y a un impact à long terme.

«Le problème, c'est qu'on a encore très peu de données fiables. Il est donc difficile de dresser un portrait juste de la situation. La pornographie est accessible, c'est vrai, mais au moins deux jeunes sur trois vivent leur première relation sexuelle complète dans le cadre d'une relation amoureuse. C'est rassurant», dit Mme Boislard.

Selon les données disponibles, l'âge moyen à la première relation sexuelle serait inchangé par rapport à la génération précédente (vers 16 ans). Les jeunes n'auraient pas plus de partenaires qu'il y a 15 ans. Et quand on les interroge sur leurs principales valeurs, la famille vient en tête.

Parmi les jeunes que l'on considère comme actifs, plusieurs n'ont eu qu'une seule relation sexuelle ou quelques-unes. «C'est d'ailleurs le comportement sexuel le moins fréquent chez les jeunes, souligne Marie-Aude Boislard. Le plus fréquent est la masturbation, qui ne comporte aucun risque et permet l'exploration de son corps et de sa sexualité en émergence.»

Le chemin de la précocité

Une minorité de jeunes - inquiétante - est sexuellement précoce. Celle-ci présente souvent un profil particulier. Marie-Aude Boislard et son collègue François Poulin, de l'UQAM, ont étudié la précocité sexuelle auprès de jeunes de Laval et de Montréal. «Selon nos résultats, le fait de provenir d'une famille éclatée, de faire de la petite délinquance et d'avoir plusieurs amis du sexe opposé augmenterait les risques d'être précoce sexuellement.»

D'autres études suggèrent que les jeunes ayant une puberté précoce, vivant dans un milieu défavorisé, ayant subi des agressions sexuelles ou ayant un parent travailleur du sexe sont plus susceptibles d'amorcer leur vie sexuelle de façon précoce.

Marie-Paul Ross reconnaît que la sexualité précoce ou déviante touche une minorité de jeunes. «Ça reste grave pour une société, il faut s'en préoccuper», souligne-t-elle. Mais l'abstinence n'est pas peut-être pas la solution. «Les études longitudinales sur les «reborn virgins» et les jeunes qui ont fait voeu de chasteté, aux États-Unis, montrent que les jeunes ont leur premier rapport sexuel sensiblement au même âge, qu'ils aient fait voeu de chasteté ou non, dit Mme Boislard. Les jeunes qui ont fait voeu de chasteté utiliseraient moins le condom que les autres à cette occasion. Peut-être parce que c'est moins planifié.»

Une question «globale»

La sexualité des ados n'est certes pas que rose. La prévalence de la gonorrhée et de la chlamydiose chez les jeunes Montréalais, les grossesses non désirées, la violence, l'homophobie et les délits sexuels inquiètent notamment. Selon une étude américaine publiée en 2011, 12% des filles et 3% des garçons disent avoir eu des activités sexuelles qu'ils n'ont pas aimées à plusieurs reprises, particulièrement la fellation et le sexe anal. «Au Canada, on n'a pas de données comparables, mais ça nous rappelle qu'il est important de bien outiller les jeunes pour qu'ils vivent sainement leur sexualité, dit Mme Boislard. Si les parents s'inquiètent et que ça ouvre un dialogue sur les données justes, c'est tant mieux. Les parents doivent s'impliquer, ils peuvent être des agents protecteurs pour diminuer l'effet du risque de l'hypersexualisation. Mais cette responsabilité doit être partagée.»

«Il faut arrêter de «pathologiser» la sexualité adolescente, mais plutôt reconnaître que le développement psychosexuel fait partie de la santé globale, affirme Marie-Aude Boislard. Les jeunes ont une sexualité et, une fois ce constat accepté, informons-les et outillons-les pour que ça se passe bien. Cessons de jouer à l'autruche.»

Sexualité des jeunes, petit manuel pour les parents, de Marie-Paul Ross, éd. Fides. 135 p., 22$ (en librairie le 24 février).