Douze chiens errants et autant de sans-abri, sont les acteurs muets d'une pièce de théâtre jouée à Zagreb, mais qui brûle les frontières par son subtile message visant à éveiller les consciences sur le sort des exclus de la société moderne.

C'est le courageux metteur en scène, Borut Separovic, 40 ans, qui a crée Tombouctou, inspirée du roman homonyme de l'écrivain américain Paul Auster, lui-même supporteur de ce projet ambitieux, qui a reçu les critiques enthousiastes de chroniqueurs croates.

La pièce se conte autour d'un monologue de 45 minutes prononcé par l'acteur, Sven Medvesek, qui, assis au milieux du public, prête sa voix à «Cap», un berger écossais âgé de huit ans, champion de dressage, incarnant le personnage principal, «Mr Bones» (M. Os, Kosta en croate).

Répondant aux ordres discrets donnés par son maître assis au premier rang, Mr Bones, suit par ses gestes, le récit. Il court sur scène, réfléchit, se met en colère, s'allonge sur le ventre pour se reposer, se met à aboyer.

Champion de pantomime, ce chien exprime avec une habileté hors du commun ses «réflexions» sur la perte d'un proche, la solitude et les relations dans la société de consommation.

Comme dans le roman, Mr Bones est un chien tourmenté par le décès de son maître, son meilleur ami, un sans-abri.

«C'est une histoire qui raconte d'un amour inconditionnel entre un chien et son maître, un sans-abri», explique M. Separovic.

Pour ce réalisateur zagrébois qui vit entre la Croatie et les Pays-Bas, Tombouctou est une leçon «thérapeutique» qui a pour but d'expliquer «comment ne pas interpréter la démocratie uniquement à travers les droits, mais aussi à travers des responsabilités et la solidarité avec les autres».

«Nous voulons que les gens soient conscients que sur cette planète nous vivons ensemble, que nous devons tolérer et respecter les autres», ajoute pour sa part l'acteur Sven Medvesek.

Pendant le spectacle, à un certain moment, douze chiens errants, accueillis dans un chenil de Zagreb, investissent la scène, alors qu'un filet tombe pour les séparer du public.

Le narrateur s'adresse alors aux spectateurs: «L'histoire de ces chiens est similaire à celle de Mr Bones. Nous vous invitons à leur offrir un foyer. Vous pouvez me contacter après le spectacle».

Parallèlement, autant de sans-abri entrent silencieux dans la salle, et restent débout, longeant les murs.

Parmi les spectateurs, dont des enfants, nombreux ont des larmes aux yeux.

«Je voudrais que les gens, les jeunes surtout, comprenne qu'il est important de prendre soin des autres, de ceux qui se trouve dans des situations difficiles», explique M. Separovic, 40 ans, qui anime la troupe Montazstroj.

«Quand j'ai été contactée pour prêter des chiens pour ce spectacle, j'ai su tout de suite que j'allais tout faire pour l'aider à bien mener ce projet», raconte la vétérinaire Tatjana Zajec, qui dirige le chenil de Zagreb.

La première de Tombouctou a eu lieu le 4 octobre, à l'occasion de la Journée internationale des droits des animaux. Programmée une dizaine de fois en octobre, elle sera aussi jouée le 17, à l'occasion de la Journée internationale pour l'éradication de la pauvreté.

Les critiques de la presse croate ont été unanimes pour louer les qualités de ce spectacle pionnier. Le magazine Globus l'a décrit comme une pièce «unique qui rompt radicalement les frontières du théâtre».

«Le spectacle a été vraiment émouvant. La mise en scène est originale et puis, il est vrai que dans notre société, on a tendance à négliger tous ceux qui sont abandonnés, qu'ils soient des êtres humains ou des animaux», a dit un spectateur, Nenad Kovac.