Le monde va mal. L'économie est en crise. La couche d'ozone est trouée. Les glaciers fondent à la vitesse grand V. La moitié de l'humanité a faim et le Canadien n'est pas assuré de participer aux séries.

Soyons honnêtes: il n'y a pas vraiment de raison de se réjouir. Et c'est justement pour cela que le mouvement jovialiste, qu'on croyait mort et enterré, a décidé de renaître de ses cendres tel un phénix.

Dimanche soir dernier, de nouveaux et d'anciens adeptes du jovialisme se sont réunis au Bar les Minots, boulevard Saint-Laurent, pour un banquet d'idées, de chansons et de poésie. Officiellement, il s'agissait de souligner le 38e anniversaire de cette «philosophie du bonheur», élaborée par le penseur québécois André Moreau à la fin des années 60. Mais dans les faits, la rencontre visait surtout à marquer la résurrection de cette communauté, en dormance depuis 1988.

Faste période

Pour ceux qui ne le sauraient pas, le mouvement jovialiste a déjà connu un grand succès au Québec. Dans les années 70, les conférences d'André Moreau étaient aussi populaires qu'un concert de Beau Dommage. Son système de pensée axé sur la fête, l'hédonisme, la confiance en soi et la recherche de l'harmonie intérieure par une sexualité épanouie s'inscrivait parfaitement bien dans une époque d'insouciance et de libération des moeurs. «Nous avons eu jusqu'à 3000 membres!» dit le truculent philosophe de 68 ans, en évoquant cette faste période.

Mais puisque tout ce qui monte redescend, le parti du bonheur a fini par imploser. À la fin des années 80, miné par les guerres de pouvoir et une réputation de moins en moins flatteuse, le mouvement jovialiste a mis la clé sous la porte.

Tourné en ridicule par les médias, André Moreau s'est pour sa part retiré de l'avant-scène, poursuivant son oeuvre littéraire et philosophique (50 livres publiés à ce jour) dans une relative discrétion, entouré de ses nombreuses conjointes (il a déjà prétendu en avoir cinq en même temps!).

Comment a-t-il survécu? En vivant de «l'abondance de l'infini», dit-il très sérieusement.

Le bonheur pour lutter

Honnêtement, on ne pensait pas réentendre parler des jovialistes. Mais il semble bien que le mouvement n'ait pas dit son dernier mot. Il y a de la relève et elle essaie présentement de s'organiser.

Menés par l'artiste et bédéiste montréalais Nicolas Lehoux, ces «néo-jovialistes» ont récupéré la pensée d'André Moreau, dans l'espoir de lui donner un second souffle.

Le message est à peu près le même (le bonheur est gratuit, prenez-le!), mais il s'adapte au contexte et aux nouveaux moyens de communication. Exit les conférences centrées sur un seul homme, bonjour la circulation d'idées sur le web: le mouvement jovialiste s'affiche désormais sur MySpace, plateforme idéale pour recruter de nouveaux membres et leur donner la parole. Jusqu'ici, le mouvement compterait une centaine de membres, à la fois anglos et francos.

Pour Nicolas Lehoux, 33 ans, le jovialisme n'est pas seulement un bon moyen de répondre au climat de morosité ambiante. C'est aussi une arme de choix pour lutter contre ce «nouvel ordre mondial» (New World Order) axé sur la performance, l'hyperconsommation, l'exploitation et tous les travers de la société occidentale.

Si la fête reste au coeur de son agenda, il souhaite, dit-il, «centrer la pensée jovialiste sur des valeurs d'éthique et de communautarisme» qui font trop souvent défaut dans notre monde à la dérive.

On vous épargne ses propos plus ésotériques sur les enfants indigo, la force de l'aura, le calendrier maya et l'apocalypse de l'année 2012. Mais pour Lehoux, il est clair que nous sommes à l'orée de profonds bouleversements planétaires. Et il se dit convaincu que les idées d'André Moreau «vont nous aider à passer à travers ces changements-là».

Soif d'absolu

Qu'en pense le grand jovialiste en personne? Plutôt content, vous imaginez bien.

André Moreau admet que le contexte était favorable à la renaissance du mouvement. «C'est la philosophie des temps difficiles, lance-t-il au bout du fil. C'est quand ça va mal qu'il faut aller bien!»

À son avis, la pensée jovialiste saura répondre aux questionnements d'une nouvelle génération en quête de solutions de rechange. «Les jeunes d'aujourd'hui sont déçus de ne plus avoir de sens à leur vie. Ils ont soif d'absolu... Et sont à la recherche d'une nouvelle spiritualité», croit-il.

Nicolas Lehoux espère, de son côté, que les «néo-jovialistes» sauront renouveler l'image du mouvement, en dépit du cynisme ambiant et de la réputation «d'humoriste» que traîne malgré lui André Moreau.

Déjà, dit-il, la France a commencé à s'ouvrir. Longtemps ignorés, les ouvrages de Moreau (qui a un doctorat en philo de la Sorbonne) y seront bientôt publiés. «Ils n'ont pas les idées préconçues que le Québec a sur André Moreau, explique-t-il. Moi je pense que ça va donner un coup. Et à mon avis, ça va partir aussi fort que dans les années 70.»

Informations: www.civilcad.ca/jovial.htm