Demandez à des élèves de la fin du secondaire d'illustrer ce qu'est un préjugé, et il y a de bonnes chances pour que le premier exemple qui leur vienne à l'esprit soit : «Les blondes sont niaiseuses.»

C'est ce qui s'est produit à la fin du mois de novembre dans une école secondaire de Sainte-Adèle. Et aussi, une semaine plus tôt, dans un collège privé de Saint-Hyacinthe. L'âge des jeunes : 15 ou 16 ans. Le contexte : une présentation de la «Caravane de la tolérance», qui sillonne la province dans l'espoir d'abattre les murs des stéréotypes et des idées préconçues, générateurs d'exclusion et de discrimination.Les animateurs de la Caravane commencent par mettre leur public à l'aise. «Savez-vous ce qu'est qu'un préjugé ?» demandent-ils d'entrée de jeu. Des exemples, il y en a à profusion en ce vendredi après-midi, dans la bibliothèque de l'école Augustin-Norbert-Morin, à Sainte-Adèle.

Après l'image de sottise rattachée aux cheveux clairs, il y a celle des «Noirs-qui-se-tiennent-tous-en-gang», puis celle des «dépanneurs-chinois-qui-vendent-des-cigarettes-aux-mineurs».

«Moi, quand je veux traiter quelqu'un de con, je le traite de juif», confie un élève. «Si je dis que les Noirs ont un gros pénis, est-ce un préjugé ?» se risque un petit rigolo.

Les deux animateurs, Nathanaëlle Vincent et Karl Savoie, rament fort pour garder le cap. Leur présentation suit la ligne directrice suivante : d'abord, faire prendre conscience aux jeunes qu'ils ne sont pas les seuls à nourrir des préjugés ; puis tracer le lien de causalité entre ces préjugés et la discrimination - laquelle, dans ses formes les plus extrêmes, peut aboutir à des massacres.

Les animateurs ne savent jamais à quoi s'attendre. Parfois, ils font face à des adolescents ultra-préparés et politiquement corrects. C'était le cas à l'école secondaire Saint-Joseph, à Saint-Hyacinthe, à la mi-novembre. Une seule élève a alors exprimé sa crainte au sujet du hijab, qui risque selon elle «de nous faire perdre nos coutumes québécoises». Son intervention est tombée complètement à plat.

La religion des camisoles

C'était tout le contraire une semaine plus tard à l'école secondaire A.N. Morin, à Sainte-Adèle, où le même sujet a suscité un débat animé. Point de départ de la discussion : l'animateur demande aux élèves ce qu'ils pensent du propriétaire d'un salon de coiffure qui refuserait d'embaucher une coloriste sous prétexte qu'elle porte le foulard et n'exhibe donc pas ses cheveux.

Questions et commentaires fusent de partout. «Elle est arabe, avec une affaire, là ?» demande une élève. «C'est son mari qui l'oblige à porter le voile ?» questionne une autre.

Tout ce qu'on sait, c'est qu'elle est musulmane, précise Karl Savoie, qui en profite pour expliquer que les origines arabes et l'islam ne vont pas toujours de pair.

«C'est rendu qu'ils mettent le voile partout, elles vont se baigner tout habillées, puis nous, on n'a pas le droit», avance une élève, ouvrant la porte à une cascade d'interventions du même genre.

Vérification faite, aucun des élèves n'était en mesure de dire quelle piscine ou centre aquatique autorise les femmes à barboter avec tous leurs vêtements pour des raisons religieuses. Mais, fondé ou non, leur sentiment d'injustice est réel. Deux adolescentes de 16 ans nous l'expliquent : «Moi, je suis complexée, je préfère porter une camisole à la piscine. Pourquoi ELLES ont le droit d'être tout habillées, et moi, je ne peux pas me baigner en t-shirt? Si c'est comme ça, je vais fonder la religion des camisoles !» lance-t-elle avec défi.

Le fil conducteur

Les animateurs marchent sur un fil. D'une part, ils invitent les jeunes à ne pas se censurer. Mais, d'autre part, il ne faut pas qu'ils perdent de vue leur message : les préjugés conduisent à la discrimination, potentiellement porteuse des pires exactions.

Comment la démonstration est-elle reçue? Au secondaire, ça ne prend pas grand-chose pour exclure, dit Michèle Boudrias, animatrice de vie spirituelle à l'école de Sainte-Adèle.

«Pour les jeunes, les trois élèves habillés comme eux sont corrects, et aucun des autres ne l'est», ajoute-t-elle. Dans cette école, les minorités ethniques brillent par leur absence. Les préjugés à leur égard se nourrissent de ce que l'on entend à la maison ou dans les médias.

Mais les sujets de friction ne manquent pas pour autant. Et le grand mérite de ces rencontres, selon Mme Boudrias, c'est de «défaire des noeuds».

«La différence, au secondaire, est très difficile à vivre. Les séances de la Caravane de la tolérance font sortir beaucoup de choses. Parfois, des jeunes disent : moi, je suis gros, j'ai toujours été stigmatisé.»

À la fin de l'une des séances auxquelles nous avons assisté, une élève s'est levée, l'air bouleversé, après la projection d'un court documentaire sur les six génocides du XXe siècle, que les élèves de l'école de Sainte-Adèle ont regardés dans un silence religieux.

«Moi, j'ai de la famille dans les réserves. Ici, on parle des juifs et des musulmans, mais les Amérindiens, eux, passent sous la table», a-t-elle lancé, les larmes aux yeux. Un autre noeud à défaire pour l'école...

Parfois, l'impact est encore plus fort. Quelques jours après le passage de la Caravane à Saint-Hyacinthe, une élève a eu le courage de briser le mur du silence pour dénoncer une situation d'intimidation. Après avoir vu la Caravane de la tolérance, l'adolescente a eu le sentiment qu'elle devait agir, confie l'animatrice de pastorale Chantal Richer. «Parfois, en voyant le documentaire sur les génocides, les jeunes se demandent comment de tels événements ont pu se produire, pourquoi personne n'a rien fait pour les empêcher», dit Mme Richer. Et après, ils se disent qu'ils peuvent agir à leur petite échelle, à eux.

Pour Chantal Richer, «la Caravane donne des yeux aux élèves.»