«On s'en fiche des raisons pour lesquelles les gens viennent ici faire du bénévolat», lance Judy Servay, fondatrice du restaurant Robin des bois sur le boulevard Saint-Laurent. «On a tous nos motivations. Personne ne peut dire quelles raisons sont les bonnes. Toutes les raisons sont bonnes.»

Gérante d'une entreprise partie de rien, «un centre communautaire pour épicuriens», un restaurant où les serveurs et les cuisiniers sont bénévoles et dont les profits sont versés à des organismes d'entraide, Judy ne s'imaginait jamais à quel point elle rencontrerait de la générosité sur son chemin quand elle a plongé dans l'aventure en 2006. Mais ce qu'elle ne comprend toujours pas, ce sont ceux qui commentent parfois de loin et remettent cette charité en question en s'interrogeant sur les motivations des vedettes qui vont s'y faire voir ou des politiciens qui aiment faire savoir qu'ils y mangent régulièrement. «Tant mieux si, au bout du compte, tout le monde se sent comme un héros parce qu'ils aident. Si donner t'aide à te trouver formidable, pourquoi pas?»

 

Avec l'arrivée de Noël, guignolées et opérations de bienfaisance se sont multipliées, et partout les questions et les critiques se sont mises à fuser. Pourquoi telle vedette s'est affichée pour telle cause? Pourquoi tel acteur s'est porté à la défense de tel organisme? Pourquoi fait-on grand cas de telle opération de distribution de cadeaux?

Comme on le fait trop souvent, on tourne notre projecteur sur le mauvais problème. Au lieu de se demander pourquoi les banques alimentaires sont vides ou pourquoi tant de gens ont besoin d'aide, on remet en question, parfois tout haut, souvent tout bas, ceux qui cherchent à soutenir les autres. On les soupçonne de chercher de l'attention, de la publicité. De vouloir se convaincre eux-mêmes de leur propre générosité.

Judy, elle, a arrêté d'écouter tout ça il y a longtemps. «Who cares?»

J'ai connu la fondatrice du Robin des bois il y a environ deux siècles et quart. On était toutes les deux instructrices dans un centre de ski des Laurentides. Déjà, à l'époque, il était clair que cette fille ne prendrait pas les mêmes chemins que les autres. Je l'ai perdue de vue pendant une grosse décennie (ou deux) avant de la croiser un jour dans le Vieux-Montréal. Elle dirigeait alors sa propre société, une boîte de production vidéo fondée quelques années auparavant, mais elle rêvait déjà d'autres projets. «Moi, ce que j'aime, dit-elle, c'est lancer des business.»

Le Robin des bois est un autre de ses projets d'entreprise, à la différence près qu'elle est basée sur le bénévolat. Et que ses profits, quand ils ne servent pas à payer les dettes, sont versés à six organismes de charité: Le Refuge, Le Chaînon, Cactus, Jeunesse au Soleil, Santropol roulant et la maison Chez Doris. Un an après sa fondation, Robin des bois leur a remis 30 000$. L'année suivante, le resto s'est concentré à payer ses créanciers, versant plutôt les recettes de soirées-bénéfice aux organismes parrainés. Cette année, on se dirige de nouveau vers des profits assez sérieux pour donner de l'argent aux six organismes tout en assurant la viabilité du restaurant, prévoit Judy. «On n'est pas une machine à dons. Si faire des profits était notre seul but, on organiserait des tournois de golf, ça serait plus simple. Le véritable objectif, c'était de bâtir une entreprise sociale viable basée sur le bénévolat.»

Cela n'empêche pas que des activités-bénéfice aient lieu, de temps en temps. Le 3 février, par exemple, il y aura une soirée avec Yann Perreau et Béatrice Bonifassi qui comprendra spectacle et cocktail dînatoire. Ensuite, on organise déjà une activité du 8 mars pour Le Chaînon. «Le calendrier n'arrête pas. Si tu savais le nombre de demandes qu'on a refusées pour les partys de Noël.»

Pour fonctionner, le Robin des bois compte sur l'appui de milliers de clients prêts à composer avec le caractère parfois amateur du service et 4500 bénévoles qui cuisinent et servent aux tables et au bar: des étudiants prêts à réseauter, des personnes seules cherchant de la compagnie, des célibataires... De grandes amitiés y sont nées, des amours aussi. Et des gens de tous les milieux s'y retrouvent: juges, assistés sociaux, artistes...

Les mercredis soir, le resto organise une sorte de 5 à 7 de vedettes où des gens connus viennent jouer les barmaids.

«Quand est-ce que tu viens?» me demande Judy. J'avoue qu'elle m'en donne envie.

Faire oeuvre charitable au Robin des bois sonne comme une fête. «Les gens viennent ici pour aider dans le plaisir. Pas besoin de souffrir pour être vraiment bon.»