«Si elle s'imagine que nous allons respecter ses diktats, elle se trompe.» Pendant plus d'un an, le sociologue Tim Hallett, de l'Université de l'Indiana, a épié les potins dans une école primaire de cet État. En échange de l'anonymat de l'école, il a pu disséquer des dizaines de réunions officielles et informelles dans l'école qui ont montré la puissance des potins dans les relations entre la directrice et les enseignants.

«Les potins jouent un rôle crucial dans les organisations, explique M. Hallett en entrevue téléphonique. C'est une manifestation de la "puissance douce" des subordonnés quand ils ont épuisé les canaux officiels de protestation contre l'autorité. Ils peuvent miner l'autorité légitime impunément. D'autres chercheurs ont avancé que les potins sont simplement un outil de coercition sociale, de conformisme. Je pense plutôt qu'ils servent aux faibles contre les plus forts, même quand ces derniers ont raison et sont dans leur bon droit.»

L'école où a travaillé le sociologue américain avait une nouvelle directrice qui devait mettre de l'ordre dans les pratiques administratives - le budget de photocopies était incontrôlable - et d'enseignement - les élèves en difficulté n'étaient pas suivis de manière systématique. Mais son style dictatorial a rapidement suscité une levée de boucliers. Les enseignants ont déposé une plainte formelle contre la directrice, qui a été rejetée après enquête de la commission scolaire. Impuissants, les enseignants ont alors décidé de se traîner les pieds et ont multiplié les commentaires assassins en apparence anodins.

«La directrice a décidé d'adoucir son ton après l'enquête, mais les enseignants pensaient qu'elle était simplement hypocrite, dit M. Hallett. Il a fallu la nomination d'un directeur adjoint d'expérience, qui partageait les objectifs de la directrice mais savait comment se faire accepter et apprécier par les enseignants, pour que les réformes s'accomplissent.»

Néfastes?

Cela signifie-t-il que les potins sont néfastes? Dans le New York Times, cet automne, une employée d'une imprimerie du Montana, PrintingForLess, a vanté les mérites de la politique interne interdisant les potins. «À mon dernier travail, les potins étaient nombreux, a-t-elle écrit. Cela permettait aux gens qui avaient une attitude négative de répandre leurs mauvaises ondes.»

Tim Hallett pense qu'une telle approche est contre-productive. «Les potins ne sont pas seulement nuisibles, ils constituent également une source d'information pour qui sait les lire, ainsi qu'une manière pour les gens qui se sentent muselés de communiquer leurs sentiments réprimés en public. Ceux qui vivent difficilement avec les potins manquent souvent d'intelligence sociale, de "puissance douce". Il ne suffit pas d'être plus élevé dans la hiérarchie pour se faire obéir, mais également de convaincre que nos instructions méritent le respect. Dans l'école que j'ai étudiée, certains enseignants se plaignaient du temps que leur faisaient perdre les potins dans les réunions. Mais il s'agissait de gens qui auraient préféré faire leur travail sans interactions avec autrui, sans interactions autres que professionnelles, à tout le moins. Or, il est très rare que seules les compétences professionnelles comptent quand il s'agit de travail d'équipe. La personnalité des gens de l'équipe compte aussi.»