Tristan* ouvre la porte du condo en trombe, un linge à vaisselle dans une main et un bol de purée dans l'autre. En sourdine, des pleurs de bébé. «J'essaie d'introduire la viande, mais ça ne fait pas son bonheur», dit le nouveau papa, en retournant à la tâche. La cuisine, contemporaine et vitrée, est sens dessus dessous.

Maxime, âgé de 8 mois, est dans la vie de Tristan et Frédéric, qui se sont mariés il y a quatre ans, depuis 50 jours à peine. «On est encore en phase d'adaptation, mais ça va très bien. C'est le manque de sommeil qui est plus difficile», confie Tristan.

 

Le couple s'est vu confier la garde de Maxime après «une attente interminable», deux ans après leur inscription au programme d'adoption Banque mixte de la Direction de la protection de la jeunesse de Montréal. «Toutes les semaines sans exception, on croisait les doigts pour qu'ils nous appellent et nous proposent un enfant. On ne connaissait pas son sexe, sa nationalité, ni son âge, confie Frédéric. Quand on l'a vu, ça a été le coup de foudre. Il nous a souri immédiatement.»

Trois jours après la première rencontre, Maxime vivait déjà avec ses deux papas. «On n'a pas neuf mois de grossesse pour nous préparer psychologiquement. Du jour au lendemain, la vie bascule. Heureusement, la chambre était prête», dit Tristan. Le bébé blond aux yeux bleus est devenu leur unique préoccupation.

Depuis 2002, les gais et les lesbiennes ont officiellement le droit d'adopter au Québec comme ailleurs. En pratique, l'adoption internationale leur est toujours refusée. À moins de prétendre être hétérosexuel et célibataire. «Les pays pour lesquels le Québec a des organismes agréés n'autorisent pas l'adoption par les homosexuels», indique Josée-Anne Goupil, du Secrétariat à l'adoption internationale du Québec. Les couples de même sexe - des hommes surtout - se tournent donc vers la Banque mixte, les femmes optant pour l'insémination artificielle. À Montréal, les gais comptent pour plus de 15% des parents adoptants ou en voie de l'être. Ils acceptent d'adopter des enfants maltraités, que la DPJ a retirés de leur famille.

«Souvent, ces enfants sont porteurs de traumatismes, ils ont été négligés, sous-stimulés, mal nourris, violentés ou abusés, indique Michel Carignan, chef du service de l'adoption au Centre jeunesse de Montréal. Les parents adoptants doivent être solides et capables de soutenir les besoins d'un enfant aux exigences particulières.»

Jeunes professionnels, Yannick et Denis étaient prêts à relever le défi. Ils sont en couple depuis 12 ans. «Nous avons toujours adoré les enfants. Mais en assumant notre homosexualité, on avait mis notre rêve de paternité de côté. Ça a changé», confie Yannick.

Aujourd'hui, ils sont mariés, habitent une maison en rangée dans l'est de Montréal et ils ont deux beaux enfants. Vincent, 2 ans, a été officiellement adopté en septembre 2009, deux ans après son arrivée au foyer familial à 3 mois. Loïc, 6 mois, vit avec eux depuis quelques semaines. «Nous étions très stressés au début. On lisait tous les livres de parents. Maintenant, on est plus instinctifs, dit Yannick. Ça bouleverse le quotidien, on se lève très tôt, on fait du lavage tous les jours. On glisse, on joue, on chante. C'est la vraie vie.»

Fini, l'entraînement quotidien au gym. Fini, les 5 à 7. Ils préfèrent siroter une coupe de vin après le repas et le bain des enfants, quand la maisonnée est moins agitée. «Vincent a beaucoup d'énergie. C'est un vrai moulin à paroles, il est très sociable. Il a constamment besoin d'attirer l'attention», dit Denis. Vêtu d'un pyjama de Flash McQueen, Vincent court partout, fait des grimaces, désobéit, joue, dessine et s'assied finalement à la table, avec sa doudou bleue, pour regarder l'album de son adoption. Yan profite de l'accalmie pour prendre une gorgée de vin. Denis sourit en berçant Loïc.

Malgré des antécédents de toxicomanie, Vincent est vif et en santé. «À son arrivée, Vincent présentait des retards de développement. On l'a sur-stimulé et on l'a ramené. On était ouverts à l'idée d'accueillir un bébé avec des carences. On voulait faire une différence en début de vie», dit Yannick.

Deux papas, pourquoi pas!

«La recherche démontre que l'enfant se développe aussi bien dans une famille homosexuelle que dans une famille hétérosexuelle. Il n'y a aucune différence dans les capacités parentales. C'est la chaleur et l'attention que les parents portent à l'enfant qui sont primordiales», souligne Danielle Julien, professeure au département de psychologie de l'UQAM. Elle s'est intéressée à l'homoparentalité dans le cadre de ses travaux.

Pourtant, les croyances homophobes persistent. «On pense que deux hommes sont incapables d'élever des enfants, on est plus tolérant envers deux femmes. On parle d'instinct maternel. C'est vraiment persistant comme idée préconçue.» Pire encore, les allégations de pédophilie ne sont jamais loin, selon Gary Sutherland, coprésident de la Coalition des familles homoparentales.

Jusqu'à récemment, les couples gais devaient passer une entrevue additionnelle dans le cadre du processus d'adoption. La procédure, considérée comme discriminatoire, a été modifiée. Certains homosexuels vivent quand même la démarche difficilement. «On m'a demandé si j'avais l'habitude de fréquenter les saunas et si j'étais «multipartenaire», s'insurge Frédéric. Va-t-on aussi loin chez les hétéros?»

Frédéric n'a pas encore digéré la façon dont son couple a été traité. «On nous a clairement dit que, s'ils avaient le choix, ils n'accepteraient aucune famille homosexuelle, qu'il fallait nous attendre à avoir un enfant plus vieux, à la peau noire et peut-être handicapé parce que personne n'en veut. C'est odieux.»

Gary Sutherland, de la Coalition des familles homoparentales, est d'avis qu'on fait la vie plus dure aux couples de même sexe au cours du processus d'adoption. «C'est informel, mais on passe au second rang. Il semble y avoir un délai d'attente plus long, avance-t-il. C'est décourageant pour les couples gais.»

Michel Carignan, du Centre jeunesse de Montréal, nuance: «Si la dimension de l'homosexualité fait l'objet d'une attention particulière, c'est pour s'assurer que chacun des membres du couple vit bien son homosexualité, de façon épanouie et sans malaise. On ne veut pas placer un enfant dans un milieu où l'on vit dans le secret.Et comme les homosexuels sont plus ouverts à l'idée d'accueillir un enfant différent, ça va plus vite.» Il est catégorique: à compétence égale, jamais un couple hétérosexuel n'a préséance sur un couple de même sexe. On refuse jusqu'à 15% des inscriptions chez les hétérosexuels, mais jamais un dossier d'adoption n'a été refusé parmi les postulants gais.

*Certains prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des enfants en voie d'adoption.

Qui sont les pères gais ?

«On leur reconnaît le même profil que les adoptants hétérosexuels. Ils ont souvent la quarantaine, ils sont professionnels, bien éduqués, ils ont de belles valeurs familiales et un couple solide. Ils ont beaucoup voyagé et ont une belle carrière professionnelle «, note Michel Carignan, chef du service de l'adoption au Centre jeunesse de Montréal.

Nombreux les parents homosexuels ?

Au pays, on dénombre 45 300 couples de même sexe (17% sont mariés). C'est 0,6% de l'ensemble des couples. Le Québec compte la plus grande proportion de couples homosexuels, 0,8% de tous les couples québécois. Environ 9% des conjoints de même sexe ont des enfants de moins de 25 ans vivant à la maison, issus d'une union précédente, de l'adoption ou de traitements de fertilité. Le phénomène est plus fréquent chez les couples de femmes que chez les couples d'hommes. Les couples de même sexe mariés sont plus susceptibles d'avoir des enfants que les partenaires de même sexe en union libre. (Source: Statistique Canada, 2006).