Il y a quatre ans, Martin* a tué sa conjointe. Un meurtre brutal à l'arme blanche, commis sous les ordres de «voix» impérieuses qui résonnaient dans sa tête depuis des années. Il a été incarcéré à la prison de Saint-Jérôme il y a trois ans. Sa peine a été atténuée à cause de sa maladie. Dans quelques semaines, il sera libéré.

Il y a six mois à peine, le scénario de sa libération aurait été le suivant: Martin serait sorti de la prison, ses effets dans un sac vert. Seul, démuni et, surtout, sans suivi médical assuré.

Imaginer la suite de sa vie dans ces conditions donne froid dans le dos. En admettant qu'il ait trouvé un endroit où habiter, il y a fort à parier que Martin, qui souffre de schizophrénie paranoïde, aurait eu beaucoup de mal à trouver un psychiatre. Les listes d'attente en psychiatrie, dans la région, dépassent un an. Sans suivi médical régulier, l'homme aurait peut-être négligé de prendre ses médicaments. Il se serait isolé chez lui. Les voix auraient repris.

Et Martin aurait peut-être succombé de nouveau à leur harcèlement.

Grâce à une initiative sans précédent au Québec, quelqu'un attendra Martin à sa sortie de prison. Le projet Passage, fruit d'une collaboration entre l'établissement de détention de Saint-Jérôme et le centre de santé et services sociaux des Pays-d'en-Haut, assure aux ex-détenus qui souffrent de graves troubles de santé mentale un suivi médical et psychosocial à l'extérieur des murs de la prison.

Marc Lardin, psychoéducateur travaillant pour Passage, a déjà rencontré Martin plusieurs fois. Avec son aide, l'homme de 33 ans a trouvé son point de chute à l'extérieur. Il a décidé de vivre en chambre plutôt qu'en appartement. «Sortir, ça me stresse, dit-il. Vivre en chambre, ça va me forcer à voir d'autres gens à l'heure des repas. Comme ça, je n'aurai pas tendance à m'isoler.» Le jour de sa sortie, Marc Lardin ira le chercher. Puis, il le rencontrera au minimum une fois par semaine.

«Mon rôle, ça touche un peu à tout. Est-ce que le client a de l'hébergement? Un chèque d'aide sociale? Souvent, les ex-détenus n'ont même plus de cartes d'identité. Ça, c'est vraiment la première chose à faire», dit le psychoéducateur. Mais sa tâche primordiale, c'est d'installer un climat de confiance. «Avec eux, il faut avoir une seule parole. Ils savent que ça existe. Mais ils ne l'ont jamais eu.»

Allers-retours en prison

Le but de Passage, c'est de sortir les détenus qui ont des problèmes de santé mentale du cercle vicieux qui les reconduit presque invariablement en prison. Prenez Daniel Vachon, qui a fait de constants allers-retours entre la prison et l'extérieur au cours des 12 dernières années. L'homme de 42 ans a eu une vie très dure. Des parents violents. Huit familles d'accueil. Diagnostic de troubles mentaux. Automutilation, tentatives de suicide. Son visage, son cou et ses mains sont tout couturés.

Pour l'entrevue, il a apporté un petit aide-mémoire. Il s'est lui-même décrit sur ce papier. «Vraiment pas facile. Lourd passé suicidaire. Très impulsif. Très imprévisible.» Lorsqu'il était en crise, Daniel finissait souvent par commettre un délit. Il se retrouvait en prison.

Le Dr Robert Labine, qui travaille une journée par semaine à la prison de Saint-Jérôme depuis près de 10 ans, a traité Daniel Vachon plusieurs fois. Il réussit souvent à stabiliser l'état de tels détenus, même s'ils sont en état de crise majeure. Mais avant la mise sur pied de Passage, dès que les détenus sortaient de prison, le Dr Labine les perdait. Et les retrouvait, quelques mois plus tard, de nouveau en crise. «Ils me demandaient parfois si je pouvais les suivre à l'extérieur. C'était impossible.»

Dehors, les ex-détenus peinaient à obtenir un suivi. «C'est déjà difficile pour la population en général de se trouver un médecin. Imaginez quand vous sortez de prison avec votre sac vert, dit le médecin. Quand vous arrivez dans une clinique avec des tatouages sur les bras et que vous voulez voir un psychologue, disons que vous ne serez pas en priorité sur la liste d'attente.»

Grâce à Passage, le psychiatre peut désormais continuer le suivi, jusqu'à ce que les ex-détenus soient finalement reçus dans les services de santé. «On présume que le suivi va diminuer le nombre de délits. Pour beaucoup de patients, l'accompagnement qu'on donne va être la différence entre prendre le chemin du chum qui vend de la cocaïne ou prendre le chemin de la clinique où ils ont un rendez-vous.»

Éric Pothier, 29 ans, peut en témoigner. Pendant des années, il a voulu obtenir un suivi psychiatrique régulier. En vain. L'homme de 29 ans est bipolaire. «J'étais garroché d'un bord à l'autre dans les services de santé.» Il a fini par passer deux ans sans médication. En janvier dernier, il a fait une crise majeure: il était convaincu que son bébé de 1 an était malade. Il s'est mis à lancer des objets par la fenêtre, en enfermant la mère à l'extérieur du logement. Elle a appelé la police.

Éric a passé les derniers mois en prison. Depuis sa sortie, il a un psychiatre attitré et reçoit les visites de Marc. «Sans eux, dit-il, j'aurais certainement fait des choix que j'aurais regrettés.» Appuyée au comptoir de la cuisine, sa conjointe le regarde, le bébé dans les bras. Un petit ange aux boucles blondes, qui sourit à Éric et lui tend les bras.

 

*Martin nous a demandé de changer son prénom afin de préserver son anonymat.