Il y a l'aile de sécurité maximale, où sont détenus les criminels endurcis, les membres de gangs de rue. L'aile de protection, où on héberge ceux qui doivent être mis à l'écart du reste de la population carcérale, comme les pédophiles. Et il y a l'aile B-E, l'infirmerie. C'est le lieu de vie d'une vingtaine de détenus, qui souffrent tous de graves troubles mentaux.

Deux cellules individuelles, où on trouve un lit étroit, une cuvette et un lavabo en inox. Deux dortoirs de plusieurs lits, avec leurs aires de vie, qui s'étendent derrière de lourdes portes de métal bleu dotées de serrures électroniques. Un petit local, dont la porte est vitrée, sert de bureau de consultation au psychiatre. Le bullpen, grande salle blanche avec de petits bancs bleus, derrière une porte blindée, sert de salle d'attente.

Daniel Vachon nous accueille dans sa cellule, qu'il a décorée d'affiches proclamant la gloire de la nation québécoise. Il nous montre fièrement l'un de ses dessins, tout en rouge et noir. «Le dessin, c'est vraiment important pour moi», dit-il.

Les détenus qui souffrent de graves troubles mentaux représentent de 5 à 7 % de toute la population carcérale. Depuis 10 ans, plusieurs rapports du coroner ont conclu que le dépistage et les soins psychiatriques faits en prison sont inadéquats et peuvent avoir des conséquences tragiques. «On judiciarise de plus en plus les cas de santé mentale», souligne Édouard Courte, directeur de programme au CSSS des Pays-d'en-Haut, instigateur du programme Passage. «Souvent, ces personnes arrivent en prison parce qu'on ne sait pas trop quoi faire avec elles.»

L'infirmerie déborde

Les malades qui vivent à l'aile B-E ne peuvent sous aucun prétexte être mêlés au reste de la population carcérale, qui compte environ 400 personnes à Saint-Jérôme. «Il faut les mettre à l'écart, explique Jean-François Longtin, directeur de l'établissement de détention. S'ils ne sont pas fonctionnels, c'est le reste de la population qui va réagir. Il n'y a aucune tolérance à leur égard. Ils vont devenir à risque.»

Les nouveaux détenus arrivent parfois dans un état pitoyable. «Ils sont complètement désorganisés, n'ont pas eu de médication depuis des mois», résume M. Longtin. Près de 6000 détenus transitent chaque année par la prison de Saint-Jérôme. Résultat: l'infirmerie déborde souvent. On manque cruellement de cellules individuelles pour loger les cas vraiment problématiques.

Certains cas sont facilement détectables. D'autres moins. Martine St-Georges, criminologue, est chargée de repérer les malades qui auraient réussi à se fondre dans la masse. «Parfois ils sont détectés par le personnel, ou d'autres détenus. Ils me disent: «Lui, il a l'air bizarre.»» Un détenu atteint de troubles mentaux longera les murs, murmurera des phrases sans fin. «C'est la démarche, le regard. Ils n'ont pas le même regard. C'est glacial.»

Il faut parfois du temps avant que les détenus malades acceptent de consulter un médecin. Martin, par exemple, a passé des mois enfermé dans sa cel lule. «Je regardais le mur.» Il dormait peu, faisait d'horribles cauchemars. Il a finalement accepté de voir le Dr Robert Labine. Sa médication a été ajustée. Il va mieux. Les voix qui le hantaient ne font plus, désormais, que chuchoter.

225 000$ par année en hospitalisations

Il y a 10 ans, la prison ne bénéficiait même pas des services d'un psychiatre. Seul un généraliste voyait les malades. Les détenus problématiques étaient souvent confinés à leur cellule nuit et jour. On les plaçait parfois en isolement. Lors de crises, il fallait les envoyer à l'hôpital, sous bonne garde: le salaire des deux gardiens représentait 1000$ par jour d'hospitalisation. Avant l'arrivée du psychiatre, il en coûtait 225 000$ par année pour les hospitalisations pour troubles mentaux, souligne Jean-François Longtin. Ce budget est depuis tombé à presque zéro.

Trouver un psychiatre pour travailler à la prison n'a pas été facile. «Quand l'agence a fait un appel à tous les établissements pour desservir la prison, peu de gens ont levé la main», dit Édouard Courte, directeur de programme au CSSS des Pays-d'en-Haut. «Chez les psychiatres, les détenus n'ont pas vraiment bonne presse», résume le Dr Labine, qui a finalement été recruté