Le saviez-vous? Le dépanneur fête cette année ses 40 ans. Le dep' du coin, témoin privilégié de tous nos vices (ou presque), est aussi un commerce unique au Québec. Souvent en mauvais état, voire hors de prix, il fait partie des meubles. On s'y attache. Pourquoi? Allez savoir. Un nouveau livre fait le point.

Les Français ont leur Arabe du coin, les Anglais leur corner store. Mais personne, ailleurs sur la planète, n'a comme nous de dépanneur. Un commerce qui dépanne, bien sûr, nous fournissant en bière, billets de loterie, cigarettes ou papier hygiénique. Un commerce ouvert tard dans la nuit, qui fait la livraison, de surcroît. Un p'tit gratteux avec ça? Qui dit mieux?

«Acheter des tampons, de la bière ou des cigarettes, ça n'a rien de romantique. Mais on a malgré tout une relation particulière avec notre dépanneur», commente Judith Lussier, qui signe un tout nouveau livre, en librairie aujourd'hui, sur ce monument de notre québécitude (n'ayons pas peur des mots!): Sacré dépanneur, aux éditions Héliotrope.

Ex-fumeuse, l'auteure fréquentait jadis quotidiennement son dépanneur. Et, comme plusieurs d'entre nous, elle avait une relation toute privilégiée avec son «gars du dep»: «C'était un Pakistanais, et je me souviens qu'il m'a tout expliqué le soulèvement des Tigres tamouls, raconte-t-elle. Veux, veux pas, c'est un lieu de rencontre forcé avec l'étranger!»

Parlez-en à M. Chen, arrivé en Beauce il y a 30 ans pour ouvrir un dépanneur, probablement le premier Asiatique à mettre les pieds à Saint-Georges...

D'où l'idée d'écrire ce livre, à la fois historique, donc, mais aussi sociologique et photographique (les photos, colorées à souhait, sont de Dominique Lafond) sur ce que les anglos ont baptisé le «depaneuuuur», signe, parmi tant d'autres, que c'est «vraiment unique au Québec».

C'est ainsi qu'on apprend que les dépanneurs sont nés un peu par hasard, finalement. Après les convenient stores américains, et nos magasins d'accommodation ici, c'est en fait à cause d'une modification à la loi sur les heures d'ouverture des commerçants que l'on doit l'apparition du dépanneur à proprement parler. Le «bill 24» de 1970, visant à harmoniser les horaires des magasins, permet exceptionnellement aux petits artisans (avec trois employés ou moins) d'ouvrir les soirs et les fins de semaine. Paul-Émile Maheu, propriétaire d'une épicerie à l'angle de Saint-Zotique et de la 1re Avenue, est un des premiers à faire le saut. Pour pallier le manque d'employés (règlement oblige), il réduit la hauteur de ses étagères, histoire de garder un oeil sur sa boutique. C'est ainsi qu'apparaît ce design si typique, adopté par tous les dépanneurs par la suite.

Comment appelle-t-il son nouveau commerce? Faute de dénominatif plus sexy, il opte pour Dépanneur Saint-Zotique, appellation également reprise par tous, même reconnue officiellement par l'Office québécois de la langue française en 1983.

Voilà pour la petite histoire. L'auteure aborde également le côté plus trash du dépanneur, qui incarne, à lui seul, la plupart de nos vices. N'est-ce pas là que la majorité d'entre nous avons commencé à consommer des «cochonneries», avec les fameux jujubes à 1 sous? À chaque âge ses vices. Dans une entrevue accordée à The Gazette, le propriétaire du dépanneur 7 jours de Saint-Léonard a déjà dit que ses ventes se divisaient comme suit: 40% en loterie, 35% en cigarettes, 20% en bière et 5% en magazines pornographiques...

Vrai, il ne faut pas se le cacher, l'heure de gloire du dépanneur indépendant est chose du passé. Les grandes chaînes (Maisonnée, Perrette, et maintenant Couche-Tard) ont fait du mal aux petits indépendants. Mais malgré tout, Judith Lussier ne croit pas qu'ils soient appelés à disparaître. Pourquoi? «Car par-delà l'image et les apparences, bon an, mal an, depuis 40 ans, que la canicule s'abatte sur Montréal ou que le blizzard souffle sur toute la province, jour après jour, soir après soir, l'humble porte du dépanneur demeure ouverte», conclut Judith Lussier dans son livre. Et avouez: qu'est-ce qu'on ferait sans lui?

Sacré dépanneur! de Judith Lussier, photos de Dominique Lafond, aux éditions Héliotrope, 224 pages, 22,95$.