Les popotes roulantes existent depuis plus de 40 ans au Québec. Pourtant, aujourd'hui, elles sont menacées, faute de bénévoles pour prendre la relève.

«L'important, c'est que lorsqu'ils ouvrent leur plat, ils reconnaissent ce qu'il y a dedans», explique Thérèse Duguay, responsable de la popote roulante de l'église Saint-Émile, dans l'est de Montréal.

Ses clients sont des personnes âgées en perte d'autonomie. Ils vivent toujours à la maison, souvent seuls. Alors, ce repas qui leur est livré à domicile est aussi une bonne dose de réconfort.

Mais les popotes sont aujourd'hui menacées de disparition. «C'est de plus en plus difficile de recruter des bénévoles», concède Marjorie Northrup, coordonnatrice des services alimentaires au Centre d'action bénévole de Montréal, qui gère la majorité des popotes de Montréal.

Le calcul est facile à faire: si les bénévoles se font rares, la demande explose. Le nombre de bénéficiaires des popotes roulantes de Montréal a presque doublé durant les 10 dernières années.

La population vieillit et il faudrait augmenter le nombre de repas, estime Marjorie Northrup.

Il y a environ 300 popotes roulantes au Québec, dont une centaine dans l'île de Montréal. Elles préparent plus d'un million de repas annuellement. Malgré cette importante production, le service est méconnu.

«Pourtant, c'est un service de première ligne, estime Huguette Roy, de l'Association des popotes roulantes du Montréal métropolitain. Un service essentiel, parce que ça permet de garder des gens plus longtemps dans leur maison.»

«En maintenant des aînés à la maison, on épargne une fortune, collectivement», estime aussi Marjorie Northrup.

Pour l'instant, certaines popotes vivotent avec les moyens du bord.

À l'église Saint-Émile, le repas complet - soupe, plat principal et dessert - coûte 4,50$. Certains groupes réussissent à offrir leurs repas à 3,50$ et même moins. Le prix doit couvrir toutes les dépenses liées à la préparation et à la livraison: les ingrédients, le contenant dans lequel il est servi et le prix de l'essence. Tout le monde donne son temps et personne n'est avare de bonne humeur.

Popotes ethniques

La nourriture étant très culturelle, les popotes ethniques se sont multipliées à Montréal. À deux pas du marché Atwater, au sous-sol de l'église Union United, Gwen Campbell et sa brigade cuisinent des repas pour leur communauté, essentiellement des gens «des îles». Le menu a donc des accents antillais: poisson frit, riz, haricots et légumes.

À l'autre bout de la ville, l'Entraide ukrainienne tient aussi sa popote. La communauté libanaise en a une. Les Italiens aussi.

Malgré la difficulté de recrutement, la branche alimentaire du Centre d'action bénévole est en train de mettre sur pied une popote halal, près de l'avenue du Parc, avec l'aide de l'imam de la communauté. Marjorie Northrup a été alertée par une travailleuse sociale de Parc-Extension. «On ne peut pas dire non quand il y a des besoins», lance-t-elle.

«On le fait parce que ça nous donne un grand sentiment d'appartenance à la communauté», explique aussi Gwen Campbell, chef de la popote de l'église Union United depuis 15 ans. Elle a 72 ans et ne parle pas de retraite. Elle fait les menus, les achats, cuisine les plats, recrute son équipe, mais avoue que les bénévoles sont plus rares que jamais.

«Les popotes sont nées dans les églises, raconte Marjorie Northrup. Avant, quand il manquait de bénévoles, le curé montait en chaire et faisait une annonce à la messe. Sur les 300 personnes présentes, la popote en recrutait quelques-unes. Maintenant, il y a six personnes à la messe. La moitié s'occupe déjà de la popote et l'autre, ce sont des bénéficiaires...»

C'est une fatalité: l'âge moyen des bénévoles des popotes dépasse 70 ans. Comme celui les bénéficiaires.

«Je dis toujours, en boutade: bénévole un jour, bénéficiaire le lendemain, dit Huguette Roy. Quand les personnes partent, il n'y a plus de relève.»

Légumes du jardin

Pour les personnes âgées, l'alimentation est particulièrement importante. Leur perte d'autonomie est souvent le début de la sous-alimentation. Certains bénéficiaires vont d'ailleurs manger le repas principal le midi et garder la soupe et le dessert pour le souper.

Les bénévoles des popotes prêtent donc une attention particulière à leurs recettes: peu de gras et de sel, mais beaucoup de légumes frais.

À la popote roulante du Santropol, on mise fort sur les légumes. Le groupe fait pousser des fines herbes et des légumes sur le terrain de l'Université McGill. L'été, cette récolte urbaine représente parfois jusqu'au tiers des ingrédients utilisés dans la cuisine de la popote. «Nous faisons aussi une cuisine de saison», explique Elena Ludman, de la popote du Santropol. Des aubergines quand elles poussent, des légumes-racines quand il n'y a plus grand-chose d'autre. La viande est biologique et les clients se sont habitués à cette cuisine qui ressemble plus à celle du café du coin qu'à celle de leur enfance.

«On sait ce qu'ils en pensent parce que certains clients nous appellent tous les jours!»

Évidemment, la popote roulante du Santropol est l'une des plus importantes de la ville, avec plus de 22 000 repas par année, et des plus dynamiques, avec des jeunes du coin qui livrent les repas à vélo. Son offre ne suffit pas à la demande.