Les soirées Poz, pour positifs (comme dans séropositifs), fêtent demain leurs cinq ans. Et malgré l'heureux anniversaire, ces soirées uniques, pensées et mises sur pied pour les porteurs du vih, sont en fait de moins en moins courues. Portrait d'une fausse mauvaise nouvelle.

Retour en arrière. Nous sommes en 2005. Karl, alors bénévole auprès de l'ACCM (Aids Community Care Montreal), a une idée. Un concept. Sauf erreur, unique en Amérique du Nord. Il veut, avec deux copains, organiser des soirées pour les séropositifs (et leurs amis). Chaque mois, dans un bar, réserver une soirée pour des porteurs d'une maladie qui fait peur.

«On a décidé de partir ça pour sortir les séropositifs de leur isolement. Vous savez, la médication, parfois, enlève le gras du visage. Et ça paraît. Alors les gens restent chez eux. Ils ne veulent plus sortir.»

Imaginez l'horreur. Non seulement vous avez l'une des pires maladies de l'heure, mais en plus, ça se voit. Quand vous l'annoncez à quelqu'un: «Il part en courant, comme s'il avait vu un fantôme.» Pas idéal, disons, pour le moral. Encore moins pour faire des rencontres. D'où l'idée d'organiser des soirées pour séropositifs seulement, histoire de minimiser les risques de discrimination, donc, et surtout afin de permettre aux malades d'échanger entre eux. Partager leur vécu, de manière informelle, dans un contexte festif.

«J'avais le goût de m'engager. J'ai perdu plusieurs amis dans le passé...»

La première soirée est annoncée en grande pompe, avec deux mois d'avance. Judicieusement, les organisateurs choisissent le bar Tools, dans le Village. «Dans un sous-sol, pas trop éclairé, pour préserver l'anonymat des gens.» Et le succès est immédiat. «Le monde était vraiment content», se souvient Karl, qui tient seul la barre des soirées depuis deux ans, avec l'aide du propriétaire du Tools, Luc Généreux. «Enfin quelqu'un s'est réveillé et organise des soirées pour les séropositifs, me disait-on.» Plusieurs amitiés se sont formées, des rencontres d'un soir, même de belles histoires. «Je connais un couple, formé aux soirées Poz, qui est ensemble depuis deux ans!»

Pendant quatre ans, tous les deuxièmes vendredis du mois, les soirées n'ont pas dérougi. «On avait toujours entre 100 et 150 personnes dans la soirée.»

Or, voilà que depuis quelques mois, la clientèle a chuté. Pas à peu près. En mai, seules 75 personnes sont venues au rendez-vous.

«Un mal pour un bien»

«Je me gratte la tête pour savoir c'est quoi le problème», confie Karl. Il a tout de même sa petite idée. Il faut dire que d'autres organismes venant en aide aux séropositifs assistent au même déclin de clientèle, dit-il. Quelque part «c'est un mal pour un bien. Une bonne nouvelle, concède-t-il, en glissant qu'il ne pleurera pas si les soirées disparaissent d'ici un an. Peut-être que les gens vont mieux. Ils retournent travailler, la maladie est moins apparente, les effets secondaires de la trithérapie aussi».

Peut-être, la médication aidant, les séropositifs ne se sentent plus malades, avance-t-il, et ils sortent ailleurs. «Aujourd'hui, le sida est perçu comme une maladie chronique. Il n'y a pas de vaccin, mais la maladie est maîtrisée.»

Vrai, les gens sont aussi mieux informés. Plus personne aujourd'hui ne croit que cela s'attrape «sur une poignée de porte».

Mais peut-être la maladie est-elle un peu trop banalisée, s'inquiète aussi Karl. L'autre jour, les propos d'un ado dans le métro l'ont fait bondir. «J'ai entendu un gars raconter qu'il n'aimait pas les condoms. Il disait: c'est pas grave si j'ai le sida, je prendrai des pilules et ça ira. Ayoye!»

C'est ce genre de propos qui lui font craindre le pire. «J'ai une bonne connaissance qui est morte du sida il y a un an, dit-il. Oui, on meurt encore du sida. Oui, la trithérapie fonctionne un certain temps, mais on peut acquérir une résistance aux médicaments. Et quand on ne peut plus rien prendre, si notre système immunitaire est attaqué, on attrape une grippe, une pneumonie, et merci bonsoir!»

En un mot, tant mieux si les séropositifs ont gagné une belle qualité de vie, et s'ils oublient aujourd'hui leur maladie. Tant mieux s'ils sortent ailleurs. S'ils font des rencontres sur l'internet. «Mais il faut continuer de se protéger, martèle le DJ. Écris-le: on meurt encore du sida!»

5e anniversaire des soirées Poz Demain soir au Tools, 1592, rue Sainte-Catherine Est.

Un rendez-vous mensuel Tous les deuxièmes vendredis de chaque mois, à partir de 21h.