Elles seront nombreuses, demain, à afficher leur fierté au cours de la soirée Lesbomonde de Divers/Cité. Des femmes d'ordinaire plutôt discrètes, lesbiennes depuis toujours... ou pas. Portrait de ces lesbiennes «sur le tard», qui intriguent de plus en plus les chercheurs.

Carole Gauthier a 62 ans. Ouvertement lesbienne, elle avoue toutefois ne pas l'avoir toujours été. Du tout, en fait.

«Jeune, j'étais en amour avec des gars, confie la présidente du Réseau des lesbiennes du Québec. Oh oui! Et c'était bien le fun. Je me suis bien amusée. Et puis, à un moment donné, c'est arrivé...»

Elle a rencontré une femme. Et elle est tombée amoureuse. C'était il y a 30 ans.

«J'étais en amour avec des gars. Je ne me posais pas nécessairement de questions. Et puis à un moment donné, on rencontre une femme, et on tombe amoureuse. Et là, on se sent encore plus comblée.»

Des femmes qui ont eu une vie hétérosexuelle épanouie, qui se sont souvent mariées, ont eu des enfants, puis qui sont ensuite tombées amoureuses d'une femme, elle en connaît plusieurs. «J'ai beaucoup d'amies comme ça, il y en a beaucoup!»

C'est le cas, entre autres, de l'auteure américaine Carren Strock, 66 ans, qui a publié un livre sur la question, avec une bonne centaine de témoignages de femmes de 20 à 60 ans, toutes prises de court par un coup de foudre pour... une femme (Married Women Who Love Women). «Moi, j'ai découvert mon identité à 44 ans, dit-elle. Avant ça, je ne m'en suis jamais douté. Je n'y ai même jamais pensé, en fait.»

Mariée à un homme depuis 25 ans, elle croit aussi que toutes les femmes ont cette «inclinaison» naturelle à aimer les femmes. «Le premier amour de toutes les femmes, c'est une femme, dit-elle. C'est la mère. Mais nous sommes élevées à penser que nous allons faire notre vie avec un homme.»

Avec la sortie de placard de quelques personnalités publiques, notamment les comédiennes Cynthia Nixon (Sex&the City) et Portia de Rossi (conjointe d'Ellen DeGeneres), le phénomène commence à faire de plus en plus jaser, et ce, partout sur la planète. L'auteure vient d'accorder des entrevues au Guardian de Londres, à la BBC, et le congrès annuel de l'Association américaine de psychologie, qui se déroule à la mi-août, consacrera une table ronde au sujet de cette «fluide» orientation sexuelle, chez les femmes lesbiennes, dites «sur le tard» («Sexual fluidity and late blooming lesbians»).

Se découvrir lesbienne

Est-ce à dire qu'on ne naît pas lesbienne et que l'orientation sexuelle des femmes est un choix? Les chercheurs sont très prudents avant de répondre à la question et préfèrent tous ne pas généraliser, et surtout éviter les étiquettes. Il faut dire que l'orientation sexuelle des femmes n'est pas facile à cerner, souligne à cet effet la sociologue Irène Demczuk, auteure de Sortir de l'ombre, qui s'est beaucoup intéressée à la question. «Chez les petites filles, il y a beaucoup plus de marques de tendresse qui sont possibles, socialement. Il est donc beaucoup plus difficile, à l'adolescence et à l'âge adulte, de tracer une ligne entre l'amitié et le sentiment amoureux», dit-elle, en soulignant que chez un garçon, au contraire, l'érection ne trompe pas.

«L'immense majorité des lesbiennes ont un passé hétérosexuel», indique la sociologue. Selon elle, un sentiment amoureux, pour une femme ou pour un homme, peut aussi «apparaître à n'importe quel âge». Pourquoi? «Parce que la sexualité n'est pas liée à la reproduction, mais au désir. C'est donc nécessairement polymorphe. Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est Freud!»

Certes, certaines femmes affirment n'aimer que les femmes. Et ce, depuis toujours.

C'est le cas de Cécile Fly, 46 ans, qui s'est néanmoins mariée avec un homme, seulement pour avoir des enfants. «À 20 ans, j'ai dû faire un choix. Et moi, je voulais des enfants.» Vingt-cinq ans et quatre enfants plus tard, elle est finalement sortie du placard: «Je n'existais pas. Je ne vivais que pour me conformer aux attentes.» Selon elle, ces femmes qui se découvrent lesbiennes sur le tard vivent dans le déni: «Je ne crois pas qu'on puisse se réveiller un beau jour et préférer les femmes. Je crois qu'il y a simplement une évolution dans l'acceptation.» Un avis que partage Diane Heffernan, coordonnatrice du Réseau des lesbiennes du Québec. «C'est qu'il y a toute une oppression, une obligation de se conformer et se ranger, qui fait en sorte que certaines femmes plient, pour ne pas avoir à se battre.»

Ni blanc ni noir, mais gris

Les dernières recherches se montrent beaucoup plus nuancées dans la définition de l'orientation sexuelle des femmes. Ainsi, Lisa Diamond, professeure de psychologie à l'Université de l'Utah, a suivi 79 femmes sur 10 ans, ayant toutes déjà éprouvé un semblant d'attirance pour d'autres femmes (parfois très subtil). Aux deux ans, de 20% à 30% d'entre elles ont redéfini leur orientation sexuelle. Au bout des 10 ans, 70% en avaient fait autant. «Ce n'est pas qu'elles vivaient dans le déni, souligne-t-elle dans les pages du Guardian, mais qu'en dehors du contexte d'une relation, ces petits fantasmes n'étaient tout simplement pas significatifs.»

Selon le psychologue Richard Lippa, de l'Université de Californie à Fullerton, il est clair que l'orientation sexuelle des femmes est beaucoup plus «grise» que celle des hommes. Toutes ses recherches pointent dans cette direction: «J'aime dire que les hommes préfèrent un sexe, et n'aiment pas l'autre. Les femmes, elles, préfèrent davantage un sexe, et moins l'autre», nuance-t-il. Or, ce degré de préférence, au gré de la vie et des rencontres, peut être appelé à changer chez une majorité de femmes.

Déjà, les jeunes femmes aujourd'hui se montrent beaucoup plus ouvertes à l'exploration. Sur les campus universitaires américains, certaines s'affichent comme «LUG» (lesbian until graduation). D'autres refusent de définir leur orientation, préférant se dire «en questionnement», ou «plutôt hétéro». «C'est un discours que l'on trouve seulement chez les filles, conclut le chercheur. L'orientation sexuelle des femmes est effectivement moins polarisée que celle des hommes.»