Après les poules dans Rosemont, voilà que les abeilles arrivent sur le Plateau-Mont-Royal. Un projet pilote d'agriculture urbaine, mené en collaboration avec l'Union paysanne, est prévu pour l'année prochaine dans l'arrondissement montréalais. Il devrait y avoir au départ de deux à six ruches.

Benoît Girouard, de l'Union paysanne, doit évaluer dans les prochains jours trois lieux potentiels. On songe notamment au toit d'édifices municipaux. «Il faut penser à la sécurité, dit-il. Celle des abeilles et celle des gens.» Les ruches doivent être installées à une certaine distance des lieux publics.

Mais avant de lancer un grand débat sur la sécurité, Benoît Girouard tient à défaire un mythe: les abeilles ne sont pas agressives. Lorsque des gens racontent qu'ils ont été importunés par des abeilles alors qu'ils pique-niquaient, Girouard, apiculteur lui-même, les rassure: ce sont des guêpes qui rôdent. «Les abeilles ne sont pas des charognards», dit-il.

Le projet pilote comprend d'ailleurs un volet éducatif. Des écoliers du quartier pourraient avoir droit à un petit atelier sur l'apiculture.

Ce sont des citoyens qui ont demandé qu'il y ait des ruches en plein Plateau-Mont-Royal, explique Richard Ryan, conseiller d'arrondissement du Mile End.

Montréal n'est pas pionnier dans le domaine. Paris a installé des ruches près des plages de la Seine. Il y en a aussi sur le toit du Grand Palais depuis l'année dernière, et l'aéroport Charles de Gaulle doit en installer sous peu. Il y a des abeilles à Toronto, Chicago, Seattle. Au printemps dernier, New York a cédé à son tour aux charmes de la productrice de miel.

«Cela suit le même cheminement que les poules», croit Benoît Girouard.

«Mais les abeilles sont nettement moins problématiques!» souligne Richard Ryan qui croit que l'installation des ruches est dans l'air du temps, avec la popularité croissante de l'agriculture urbaine. «Tant qu'à mettre de plus en plus de fleurs, dit-il, autant mettre des abeilles qui vont aller les butiner!»

Les abeilles vont vers tout ce qui est floral, explique Benoît Girouard. Les arbres comme les ormes ou le tilleul qui sont d'importantes sources de protéines, de même que les fleurs comme les pissenlits, qui se retrouvent un peu partout en ville. De plus, les abeilles voyagent dans un rayon de 3 km autour de la ruche. Et dans cette distance, explique Benoît Girouard, se trouve un garde-manger bien rempli: le mont Royal. «On pourrait être surpris de la qualité du miel des ruches à proximité du mont Royal.»

Aura-t-on un jour une appellation d'origine contrôlée pour le miel de Montréal?

Des reines au Château

À Québec, l'arrivée des abeilles s'est faite sans débat: le chef du Château Frontenac, Jean Soulard, n'a pas demandé de permission avant d'installer des ruches sur le toit, l'année dernière. Et la loi, chef? «Je crois qu'il est question des abeilles dans un vieux règlement du XIXe siècle, explique Jean Soulard. Mais le problème était qu'elles faisaient des taches sur les draps qui séchaient sur les cordes à linge. Ça ne s'applique plus vraiment... Et nous avons un maire très vert ici: je ne crois pas qu'il serait contre.»

D'autant plus que l'expérience est concluante. Pour sa deuxième récolte, le réputé chef s'attend à doubler la quantité de miel recueillie. Autour de 320 kg de miel pour ses quatre ruches. Jean Soulard utilise le miel du Château en cuisine pour glacer ses pétoncles, sucrer les sauces des venaisons, les vinaigrettes... «Les pots sont dans la cuisine, bien en vue, et nous éprouvons une grande fierté pour le miel de notre toit», confie-t-il.

Mais comme il y en a beaucoup, on sert le miel maison dans de petits pots aux clients qui commandent le petit-déjeuner au lit. Il est excellent, limpide, jaune clair, précise Jean Soulard, qui croit que sa qualité tient notamment au fait qu'il n'y a pas d'épandage de pesticide sur le territoire visité par ses abeilles. Les insectes butinent les espaces communs, les jardins privés, les plaines d'Abraham.

«Avant, quand il y a avait une reine en visite au Château, tout le monde courait partout, raconte le chef. Aujourd'hui, j'ai quatre reines qui travaillent pour moi!»

Les végétariens contre les poules

L'Association végétarienne de Montréal s'oppose à l'arrivée de poules pondeuses à Montréal. Lors d'un débat sur l'agriculture urbaine, mercredi soir, un représentant du groupe a demandé aux défenseurs du retour de la poule de s'inspirer du Cirque du Soleil, qui a redéfini l'art du cirque en excluant les animaux de ses spectacles. Bravo pour le retour de l'agriculture en ville, mais sans animaux, estime ce groupe, qui a lancé une contre-pétition pour bloquer le retour de Cocotte dans les jardins de la ville.

Il n'y a pas que les végétariens qui sont contre l'idée. La Fédération des producteurs d'oeufs de consommation du Québec est très préoccupée par les conditions dans lesquelles se ferait l'élevage urbain. «Quand on dit que les poules seront nourries de restes de table, ça m'inquiète», affirme Philippe Olivier, porte-parole de la Fédération.

Pour ce qui est des questions de quotas, les producteurs professionnels ne pourraient pas contester l'arrivée des poules dans les jardins montréalais: au Québec, on peut posséder jusqu'à 99 poules sans avoir besoin de quotas. Mais pas en ville...