Il ne reste plus qu'une semaine avant la rentrée de septembre. Pour la plupart des Nord-Américains, c'est le moment de renouer avec le travail et de retourner gagner sa vie. Petite consolation pour tous ceux que cette perspective déprime: contrairement à l'idée reçue, l'argent - si durement gagné - fait le bonheur. Mais seulement à condition d'être bien dépensé.

C'est du moins ce que révèle une série de recherches récentes, dont plusieurs ont été menées par Thomas Gilovich, professeur en psychologie à l'Université Cornell, dans l'État de New York. Voici ses conseils pour tenir jusqu'aux prochaines vacances.

Q: On entend toujours dire qu'on ne peut acheter le bonheur, mais d'après vos recherches, cela ne semble pas tout à fait vrai.

R: Le chemin entre l'argent et le bonheur est incertain. Les psychologues ont cru longtemps que la relation entre le revenu et le bonheur était à peu près inexistante, mais les données qui entrent depuis quelques années montrent le contraire: il y a un lien. Les gens qui vivent dans des pays riches tendent à être globalement plus heureux que ceux qui vivent dans les pays pauvres. Et au sein du même pays, les plus riches tendent à être un peu plus heureux. Mais évidemment, nous connaissons tous plusieurs exceptions. Ce qui peut faire une différence parmi les gens qui ont un certain revenu disponible, c'est qu'il y a des façons de le dépenser qui sont meilleures que d'autres lorsque vous recherchez le bonheur. Les recherches récentes démontrent que le bien-être augmente lorsqu'une personne fait le bien avec son argent, c'est-à-dire lorsqu'elle dépense pour les autres plutôt que pour elle-même. Mes recherches montrent par ailleurs que payer pour vivre des expériences plutôt que pour obtenir des biens matériels rend les gens significativement plus heureux, et pour plus longtemps.

Q: Comment l'expliquez-vous?

R: Un des plus gros problèmes avec la recherche du bonheur est ce que les psychologues appellent l'adaptation ou l'habituation. Quand vous achetez quelque chose, ça vous fait plaisir sur le coup, mais bientôt vous ne le remarquez même plus. Le système nerveux humain fonctionne de cette manière, sinon, il serait sur-stimulé. Comment faire pour déjouer ce mécanisme? On peut y arriver en vivant des expériences, parce que même si l'expérience a une fin, elle survit longtemps dans le discours qu'une personne tient sur elle-même: moi, j'ai gravi telle montagne, j'ai fait telle chose... L'expérience survit dans les histoires qu'on raconte aux autres et dans les mémoires qu'on chérit et qui nous construisent. À l'inverse, le son si agréable de sa nouvelle BMW, bientôt, on ne l'entend même plus. Et les biens vieillissent et se dégradent. Ils perdent de leur attrait.

Q: Vous avancez aussi que les expériences créent des liens entre les gens?

R: Oui, l'être humain est sociable, et la science montre que créer des liens est très important pour son bonheur. Nous avons donc demandé à des étrangers de faire connaissance en leur demandant, dans un cas, de parler de leurs possessions, et dans l'autre, de leurs expériences. Ceux qui ont parlé de leurs expériences ont mieux aimé leur conversation et ont davantage aimé leur interlocuteur que ceux qui ont parlé de leurs biens matériels. Les biens matériels sont souvent des trophées qui servent à hiérarchiser, à se comparer aux autres, à diviser les gens plutôt que les unir.

Q: Dans votre recherche, se procurer un livre est-il considéré une expérience ou l'achat d'un bien matériel?

R: La frontière entre le bien matériel et l'expérience n'est pas toujours nette, et l'exemple du livre le montre bien.

Ça pose un défi pour la recherche, mais nous l'avons faite de plusieurs façons pour être certains que la distinction était probante. On peut vérifier, par exemple, si ce type d'achat est fait pour envoyer un signal aux autres ou pour le plaisir.

Q: Quand on a un revenu limité, vaut-il mieux épargner pour vivre une expérience formidable ou plutôt vivre plusieurs petites expériences moins spectaculaires au sein d'une année?

R: Ce qu'on tend à retenir et à chérir, c'est le moment le plus fort d'une expérience et le moment final.

Donc, prendre de très longues vacances n'a pas autant d'impact sur le bonheur que le fait de vivre une expérience particulièrement forte pendant ses vacances et le fait de bien terminer ses vacances. Donc, plutôt que d'avoir des vacances de deux semaines plus modestes, mieux vaut partir une semaine et prévoir des choses excitantes.

Q: Les gens font-ils tout simplement tel type de dépense plutôt que tel autre en fonction de leur personnalité, ou peuvent-ils vraiment augmenter leur niveau de bonheur en changeant ce qu'ils achètent?

R: Tout à fait. Surtout en mettant à profit cette découverte du moment final fort. Notre mémoire ne tourne pas un film, elle ne peut pas tout retenir. Elle prend plutôt des instantanés, et elle le fait en général face à un moment final et à un moment fort. Comme vous pouvez l'imaginer, l'industrie hôtelière se montre très intéressée par ces découvertes et tente de les diffuser au public. Personnellement, dans le cours que je donne sur le bonheur, j'expose quelques principes généraux sur les façons de vivre qui aident à être heureux. Des étudiants reviennent me voir ensuite et me racontent qu'ils sont partis en vacances et ont pris soin de les terminer en beauté!

Bien sûr, certains ont une personnalité plus matérialiste, et la recherche associe généralement cela à des traits névrotiques et à une plus faible capacité à être heureux. Mais on pourrait très bien découvrir éventuellement que les choses procurent un réel plaisir à certaines personnes ou dans telles situations.

Q: Pratiquez-vous ce que vous prêchez?

R: Oui, et c'est presque un mantra pour toute ma famille. Surtout pour mes enfants. Dès qu'elles veulent participer à une expérience, mes filles disent: Papa a dit que c'était bon pour nous!