Les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à vivre longtemps chez leurs parents. Prix du logement en hausse, marché du travail difficile... les raisons qui expliquent le phénomène sont multiples.

Et si les parents y étaient aussi pour quelque chose?

Les jeunes de la génération Y ont aujourd'hui 20 ans. Ils vivent majoritairement chez leurs parents. Plus des enfants ni tout à fait des adultes, ils font sourciller bien des observateurs.

«Qu'est-ce qui cloche avec les jeunes dans la vingtaine?» a titré tout récemment le New York Times dans un long reportage qui a suscité, sans surprise, une foule de réactions.

Vrai, les jeunes adultes ne suivent plus le parcours traditionnel: études, diplôme, boulot, appartement. Et puis éventuellement: famille. Aujourd'hui, la majorité (55%) des jeunes de 18 à 24 ans sont encore chez leurs parents. Et quand ils partent, une fois sur trois, c'est pour mieux revenir. D'où le terme «velcro». Ou Tanguy, ce peu glorieux personnage du film éponyme.

Alors, qu'est-ce qui se passe? Pourquoi cette dépendance, cette difficulté à se caser, tant professionnellement que personnellement, s'est interrogé le Times.

«Rien ne cloche, mais voici comment nous fonctionnons», a rétorqué une jeune blogueuse, Rebekah Monson, apparemment très lue, s'il faut en croire la montagne de remerciements reçus sur Twitter. En gros, elle y explique que non, les jeunes ne sont pas perdus. Ils évoluent toutefois dans un marché du travail difficile. Ils ont vu leurs parents en arracher dans les dernières années. Même s'ils ont fait des études, ils n'ont pas récolté le fruit convoité: un emploi. S'ils ont l'air de vivoter, c'est en fait qu'ils attendent. Leur tour. «Nous attendons que nos petits projets deviennent nos grands projets (...) Et qu'importe ce que vous en pensez (...), nous poursuivons nos propres idéaux.»

Des adultes «en émergence»

Le psychologue Jeffrey Jensen Arnott, de l'Université Clark à Worchester, étudie depuis 20 ans cette génération de Tanguy que certains ont baptisée les «adulescents». Quant à lui, il préfère parler d'«adultes en émergence», une appellation qu'il aimerait bien voir consacrée, pour décrire cette étape entre l'adolescence et l'âge adulte. Joint au téléphone, il s'explique. «Adulescent, c'est péjoratif. C'est négatif et stéréotypé, et c'est injuste.» Parce que si ces jeunes - il en a interrogé des centaines - ne se sont pas encore établis dans la vie, c'est pour une foule de raisons très variées, qui n'ont rien à voir avec la paresse, dit-il.

Le monde a changé depuis 50 ans. Outre l'économie (on passe par plusieurs petits boulots avant d'avoir un vrai métier) et une sexualité précoce tolérée, le psychologue souligne l'importance de l'augmentation de l'espérance de vie. «Cela ne fait plus aucun sens de prendre trop de responsabilités dès 20 ans, quand on sait qu'on va vivre jusqu'à 80 ans! Désormais, c'est plutôt dans la trentaine que les jeunes s'établissent.» D'où l'intérêt de rebaptiser cette tranche de vie, croit-il.

Son argument ne fait toutefois pas l'unanimité. Marc Molgat, directeur de l'école de service social de l'Université d'Ottawa, ne voit là aucune tendance digne d'être érigée en «norme». Selon lui, si les jeunes adultes tardent à se caser, c'est tout simplement à cause de la difficile conjoncture économique. «Ce sont des tendances qui peuvent changer, dit-il. La famille permet de pallier une certaine précarité. Mais les jeunes adultes, s'ils en avaient les moyens, seraient indépendants», croit le chercheur, spécialiste de la mobilité étudiante et de la construction identitaire.

Demandez à un jeune de 18 ou 20 ans issu de la classe moyenne (car c'est bien d'elle qu'il s'agit ici) s'il aimerait mieux avoir son propre toit, et la réponse risque d'être sans équivoque: «J'ai une très bonne relation avec mes parents, confie Florence Tiffou, 18 ans. Je vais sûrement habiter avec eux encore quelques années. Mais c'est sûr que j'aimerais partir pour faire ma vie!» Sa soeur Laetitia, 21 ans, n'en pense pas moins: «J'ai hâte de prendre mon espace, mes responsabilités.»

On est loin du jeune dépendant, refusant de prendre trop de responsabilités, tel qu'évoqué plus haut. Dans les deux cas, ces deux «jeunes adultes» savent exactement la carrière qu'elles souhaitent: l'éducation spécialisée pour l'une, la santé pour l'autre.

Encore les baby-boomers

Si cette génération tarde à entrer de plain-pied dans la vie adulte, peut-être faut-il aussi regarder du côté des parents, pointent plusieurs recherches sociologiques. «Ces jeunes sont les enfants des baby-boomers, rappelle Jacques Hamel, sociologue spécialiste de la jeunesse à l'Université de Montréal. Ce sont des parents beaucoup plus tolérants à l'égard de leurs enfants, plus ouverts que les générations précédentes.»

Typiquement, les boomers (au sens démographique du terme, nés entre 1946 et 1964) ont été une des premières générations à retarder l'âge de la procréation, à étirer les études et à entrer sur le marché du travail sur le tard. Leurs enfants, souvent uniques, choyés et traités d'égal à égal, avec qui ils partagent une foule d'intérêts, sont nés pendant les années 80 et 90. Aujourd'hui dans la vingtaine, donc, ils font face à un contexte économique beaucoup moins rose que celui qu'a pu connaître leurs parents. «Les parents cherchent donc à les protéger de cette précarité du monde du travail.»

Et peut-être qu'en les choyant ainsi, en les gardant sous leur toit, en leur préparant de petits plats, ils étirent du même coup leur propre jeunesse, avance aussi le sociologue.

La journaliste et auteure torontoise Marni Jackson publie ces jours-ci un livre portant précisément sur cette question: Home Free, the Myth of the Empty Nest. «Nous avons inventé le conflit entre les générations. Tout ce qu'on voulait, c'était partir de chez nous à 20 ans. Alors évidemment, en tant que parent, on a voulu faire le contraire et nous rapprocher de nos enfants», témoigne-t-elle en entrevue.

Or, les années passent et, un jour, les enfants ont 20 ans. Ce parent si investi, on l'a dit, doit apprendre à lâcher prise. Pas évident, conclut-elle. «Parce que voir grandir son enfant, c'est aussi se voir vieillir.»