Il avait un diplôme en physique. Il s'est lancé dans la philosophie. Il a même fait un doctorat. Trouvé un job dans son domaine, dans un groupe de réflexion à Washington. Le bonheur? Erreur. Il a tout plaqué pour réparer... des motos. Son récit, traduit de l'anglais, arrive en librairie ces jours-ci.

Philosophe et réparateur de motos. Avouez que cela surprend, disons, sur une carte de visite. C'est pourtant exactement ainsi que se définit Matthew B. Crawford, qui pourrait aussi ajouter «auteur» à sa liste de titres hétéroclites.

Dans Éloge du carburateur: essai sur le sens et la valeur du travail (éditions Logiques), il explique pourquoi il a démissionné d'un poste important, abandonné une carrière universitaire et renoncé à son avenir dans l'économie du savoir pour se rabattre sur un boulot manuel, plutôt salissant, peu prestigieux, mais finalement drôlement motivant. Oui, motivant: intellectuellement motivant, dit-il.

«On a cette croyance que seule la vie universitaire peut être intéressante intellectuellement, dit-il dans son atelier de réparation de motos, à Richmond, en Virginie, où La Presse l'a joint par téléphone. Or, moi, j'essaie de défendre la thèse contraire. La vie de l'esprit peut aussi être connectée à la vie du tangible. Travailler en mécanique, réparer des choses, faire des diagnostics, cela implique aussi beaucoup de travail intellectuel», dit ce titulaire d'un doctorat en histoire de la pensée politique, citant tantôt Hobbes, tantôt Tocqueville, Heidegger ou, pourquoi pas, Marx.

On l'imagine mal, au bout du fil, un tournevis à la main. Et pourtant... c'est ainsi, les deux mains dans le cambouis, littéralement, qu'il a enfin trouvé le bonheur.

Il faut dire que la casquette d'intello de service ne lui allait pas du tout. «Je devais défendre des arguments auxquels je ne croyais pas. C'était très démoralisant de travailler pour les intérêts d'un tiers. Je n'en retirais aucun plaisir. J'ai été incapable de rester là plus de cinq mois.»

Et son cas n'est pas isolé, croit-il. «J'étais toujours fatigué, déprimé. Non, je ne crois pas que mon cas soit unique. L'être humain n'a pas évolué pour finir assis devant un bureau toute la journée.»

Son histoire l'a finalement mené à définir ce qu'est un «bon» travail - une question difficile s'il en est, à laquelle il répond néanmoins: «D'abord, le travail est un mal nécessaire. Il ne faut donc pas attendre trop du travail. La question est plutôt: quelle satisfaction puis-je raisonnablement tirer du travail? Et la réponse est modeste. Pour moi, il faut que je puisse exercer mon propre jugement et voir un résultat direct de mes actions: la moto ne fonctionne plus, je la répare, elle fonctionne. Cela fait aussi du bien de travailler pour des normes concrètes.»

Son livre se veut d'ailleurs une «critique culturelle». «Nous avons créé une monoculture en éducation: on met de la pression sur les jeunes pour qu'ils se dirigent vers le travail intellectuel. C'est très bien pour certains. Mais pas pour tout le monde.»

Matthew B. Crawford. Éloge du carburateur: essai sur le sens et la valeur du travail. Éd. Logiques, 27,95$.