Quand la recherchiste Johanne de Bellefeuille a dû dénicher des gens laids pour une émission de télé, il y a quelques années, elle a fait face au plus grand défi de sa carrière. Jusque là, elle avait toujours été capable de trouver des gens prêts à témoigner de leur histoire, parfois très personnelle, devant la caméra. Cette fois, pas le moindre volontaire.

«D'abord, la laideur, c'est très subjectif; on ne s'entendait même pas au sein de l'équipe, se souvient-elle. Ensuite, il n'existe pas d'association de gens laids. Et solliciter des gens, leur dire qu'ils sont laids, ce n'est pas évident. C'est le dernier tabou.»

La beauté est partout. Dans les magazines, les livres, les traités philosophiques. Une multitude de chercheurs du monde entier tentent depuis des années de percer ses secrets. D'établir les paramètres d'un visage et d'un corps parfaits.

Mais la laideur? «La plupart du temps, ç'a été défini comme l'opposé de la beauté, mais presque personne n'a jamais consacré un traité sur la laideur, reléguée à des mentions passagères et à des travaux marginaux», constate le romancier italien Umberto Eco dans son Histoire de la laideur.

«Dans Les Mots, Jean-Paul Sartre écrit que la laideur est la chaux vive dans laquelle s'est dissous l'enfant merveilleux qu'il était. Il ajoute qu'il dira un jour l'histoire de sa laideur. Mais cette histoire, il ne l'a jamais contée», souligne Gwenaëlle Aubry, auteure française d'une anthologie de textes sur le sujet, Le (dé) Goût de la laideur.

De tout temps, la laideur a été associée au mal, à la souffrance. Plotin est l'un des rares à y avoir trouvé une espèce de vitalité, de force et de vérité. C'est ce qui plaît chez les séducteurs laids, de Sartre à Gainsbourg, explique Mme Aubry. Elle cite Plotin: «Un homme laid, s'il est vivant, sera toujours plus beau que la plus belle des statues.»