Classique: vous avez un gros rapport à remettre (un examen à préparer, un article à écrire) et vous vous lancez... dans le ménage de vos courriels, le nettoyage de la salle de bains, l'épilation de vos sourcils, le limage de vos ongles d'orteils ou d'autres tâches urgentissimes, il va sans dire. Bonne nouvelle: vous n'êtes pas seul. La mauvaise, c'est que cette manie de remettre toujours à demain peut aussi vous empoisonner la vie. Heureusement, ça se soigne!

C'est l'histoire d'un jeune étudiant qui remettait toujours à plus tard la préparation de ses examens. Littéralement, il commençait toujours la veille du jour J, tard dans la nuit. Et en période d'examens, il se retrouvait du coup à faire sans cesse des nuits blanches. Cela a fonctionné une fois, deux fois, mais au troisième jour de ses examens, il s'est carrément endormi, crac, la tête sur le questionnaire!

Tout le monde ne vit pas des expériences aussi taxantes de procrastination. Parfois, c'est seulement le bac à linge sale qui déborde, la neige qui s'accumule dans l'entrée ou le rendez-vous chez le dentiste qui est sans cesse reporté. Rien de gravissime, quoi. Grosso modo, on estime que 95% des gens ont ainsi tendance à remettre à plus tard certaines tâches qu'ils jugent, pour toutes sortes de raisons (voir autre texte), moins pressantes. Chez 25% des gens, cette procrastination est par contre chronique.

C'est le cas du jeune homme cité ici, Piers Steel, qui en a carrément fait une carrière: de procrastinateur professionnel, il est devenu... expert en procrastination! Désormais professeur de psychologie et de sciences comportementales à l'Université de Calgary, il vient en effet d'écrire un livre sur la question: Procrastination, pourquoi remet-on à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui? aux éditions Privé. Écrit avec beaucoup d'humour (comme en témoigne la couverture, toute blanche, sur laquelle on devine un Post-it: promis, on trouvera une idée pour illustrer la couverture demain...), truffé d'anecdotes auxquelles il est impossible de ne pas s'identifier (Depuis quand un courriel supplante-t-il la rédaction d'un travail urgent? Pourquoi les régimes commencent toujours «demain»?), il recense une foule d'études sur cette manie qui nous touche tous à différents degrés (les journalistes et écrivains sont, paraît-il, parmi les plus grands procrastinateurs, carburant aux échéances), la décortique et, surtout, suggère quelques pistes pour, sinon s'en libérer (on ne se change pas, après tout!), à tout le moins ne plus en être victime.

«C'est mon propre cas, extrême, qui, à l'origine, m'a amené vers l'étude de cette question», confesse Piers Steel en riant. Il faut dire que ce ne sont pas les études sur le sujet qui manquent. Les guides de psycho pop pullulent en librairie, les coachs professionnels font des fortunes en encadrant leurs clients, mais Piers Steel n'était jamais satisfait de ce qu'il lisait. «J'étais toujours déçu, les données me semblaient souvent dépassées, ou carrément fausses.»

Ainsi, contrairement à ce qu'on dit souvent, il n'est pas vrai que les procrastinateurs sont tous de grands perfectionnistes. Et l'inverse n'est pas davantage vrai: tous les perfectionnistes ne sont pas des procrastinateurs. En fait, la procrastination serait «génétique», affirme le psychologue. «Nous sommes programmés, génétiquement, pour procrastiner.» Comment? Pour répondre à cette question, l'auteur ouvre une large parenthèse. Il faut remonter à l'époque des chasseurs-cueilleurs pour comprendre ce qui nous anime, dit-il. «Le chasseur-cueilleur ne vivait que dans le court terme: la chasse, pour manger et s'habiller. Il n'avait pas le choix d'être motivé parce que c'était très vrai, concret.»

Avec l'introduction de l'agriculture, il y a 9000 ans, nos ancêtres ont découvert les objectifs à plus long terme et... la procrastination. «On plante au printemps pour récolter des mois plus tard. C'est très long.» Du coup, le fruit de l'action n'est pas immédiat. Il faut attendre, travailler pour des résultats à venir dans un avenir lointain, d'où la difficulté de se motiver, et donc la tentation de procrastiner. «Même les Égyptiens ont des écrits sur la procrastination.»

Des tentations à portée de main

De nos jours, avec la technologie au bout des doigts, les tentations de procrastiner sont infinies. Si, dans les années 70, seuls 4% des gens souffraient de procrastination chronique, aujourd'hui, «c'est une personne sur quatre», affirme le psychologue. Difficile, en effet, de résister à l'internet au boulot, à Facebook, à Twitter et aux autres sources infinies de plaisirs immédiats. Les sites de jeu en ligne ont d'ailleurs remarqué que leur plus forte affluence se situait entre 9h et 17h! Pendant les heures de bureau...

Et cela finit par coûter cher. Ainsi, si, comme l'affirment plusieurs études, nous passons effectivement deux heures par jour à procrastiner au travail, cela pourrait coûter des centaines de millions de dollars à l'économie, aux États-Unis seulement. Et c'est sans compter toutes les conséquences néfastes que cela peut avoir sur nous, individuellement: pour notre santé, si nous remettons sans cesse à plus tard notre rendez-vous annuel chez le médecin; notre portefeuille, si nous ne payons pas nos factures; notre carrière, si nous ne rendons pas nos dossiers à temps; notre vie affective, si nous ne donnons pas signe de vie à nos amis, etc.

Heureusement, cela se soigne, assure le psychologue, qui affirme avoir pris le dessus sur ses mauvais plis. Entre autres solutions, il suggère la «procrastination productive»: tant qu'à remettre quelque chose à plus tard, autant en profiter pour faire autre chose de productif. Vous n'avez pas envie de pelleter l'entrée? Faites une brassée (ou l'inverse, dans l'ordre du «moins pire»). «C'est déjà mieux que rien.»

Outre l'importance de s'engager formellement dans les projets les moins motivants, il conseille aussi aux grands procrastinateurs d'utiliser certains outils technologiques pour réduire leurs distractions (désactiver le courriel, qui occuperait jusqu'à 40% de notre temps), pourquoi ne pas se créer un profil réservé aux loisirs à l'ordinateur, ou carrément se déconnecter de l'internet (si leur profession le leur permet) pendant qu'ils travaillent.

Alors, c'est noté: demain, on arrête de procrastiner!

Trois grands profils de procrastinateurs

C'est clair, vous n'y échapperez pas. D'ici à quelques semaines, vous devrez remplir votre déclaration fiscale. C'est chaque année la même chose. Mais chaque fois, vous le faites à l'extrême dernière minute. Pourquoi? Trois explications sont possibles, croit le psychologue et auteur Piers Steel, qui vient de signer un livre sur la procrastination.

D'abord: votre confiance en vous. Peut-être voyez-vous votre déclaration de revenus comme une montagne. De toute façon, vous n'y arriverez pas, vous allez vous tromper. Et tous vos efforts auront été vains. Alors, pourquoi vous y mettre? Autant y renoncer tout de suite. C'est le profil dit de «l'expectation faible», typique du procrastinateur qui bat en retraite devant les tâches qu'il juge trop ardues.

Autre cas type: si vous ne vous y mettez pas, c'est que vous avez clairement mieux à faire. Franchement, rédiger une déclaration de revenus, ça vous allume autant que changer la litière du chat. Si vous remettez à plus tard, c'est que ça ne vous plaît tout simplement pas. Cela peut sembler une évidence, mais les chercheurs ont eu besoin de dizaines d'études pour le prouver: on remet à demain ce qu'on n'a pas envie de faire aujourd'hui.

Troisième cas type: votre relation au temps. Vous remettez à demain parce que, bien honnêtement, vous avez encore des semaines et des semaines devant vous avant l'échéance. Inversement, il y a là, tout de suite, tant d'autres choses nettement plus intéressantes à faire (regarder la télé, faire une sieste, préparer un bon repas). Ce troisième type incarne l'impulsif, qui se laisse le plus facilement distraire. Plus le délai est long, lointain, donc abstrait, moins la motivation est au rendez-vous.

Dans la plupart des cas, les trois facteurs entrent en jeu: c'est dur, c'est ennuyeux et ce n'est pas pour tout de suite. Bref: où est l'urgence?