La blonde de Michèle est mourante. Michèle est affectée, son travail en souffre, mais elle fait l'impossible pour que rien ne paraisse. Cette situation n'est pas si exceptionnelle qu'on le croit. Au travail, bon nombre d'homosexuels traversent les grands moments de leur vie (maladie, deuil, naissance, rupture, etc.) dans la plus grande solitude. Et les femmes encore plus que les hommes.

«Les lesbiennes affichent nettement moins leur orientation sexuelle au travail que les gais», confirme Line Chamberland, professeure et chercheuse au département de sexologie de l'UQAM, auteure de l'étude Gais et lesbiennes en milieu de travail (2007). «Par conséquent, cette attitude limite beaucoup les possibilités de créer des relations profondes dans un milieu où l'on passe pourtant le tiers de notre vie.»

Et l'écart s'accentue considérablement selon le lien hiérarchique. Ainsi, alors que 66% des lesbiennes et 77% des gais s'affichent devant leurs collègues, à peine 54% des femmes comparativement à 73% des hommes le font devant leurs subordonnés; 46% des femmes (par rapport à 60% des hommes) vis-à-vis de la direction ou de leur employeur; 44% (contre 62%) devant les représentants syndicaux et seulement 15% (contre 24%) devant leurs clients, leurs patients ou leurs étudiants.

À quoi attribuer cet écart? Trois hypothèses sont à considérer: d'abord, la double discrimination, en tant que femme et lesbienne, appelle à une plus grande discrétion, selon la chercheuse. En particulier vis-à-vis des personnes occupant une position inférieure ou supérieure dans la hiérarchie organisationnelle. «Les lesbiennes doivent d'abord faire leurs preuves en tant que femmes et craignent que la divulgation de leur orientation sexuelle nuise à leur carrière. Celles qui occupent des postes de cadres ont peur que leur autorité s'en trouve affaiblie», souligne-t-elle.

Ensuite, les lesbiennes sont plus nombreuses à travailler auprès de clientèles mineures ou vulnérables (santé, éducation et services sociaux) et à opter pour la discrétion en raison de considérations liées au maintien de leur image professionnelle ou encore aux exigences de leur employeur. «Comme encore trop de personnes confondent pédophilie et homosexualité, elles demeurent très prudentes de peur de susciter des réactions négatives.»

Enfin, dans la société en général, les lesbiennes sont plus discrètes que les gais. «Au Québec, il y a bien moins de personnalités publiques féminines qui osent afficher leur homosexualité que de personnalités masculines.»

Divulguer ou dissimuler?

En 2011, ces craintes sont-elles encore justifiées? «Pour avoir vu certains cas de discrimination, les lesbiennes n'ont pas toujours tort de se montrer discrètes, répond Line Chamberland. Surtout lorsqu'elles n'ont pas de sécurité d'emploi. Évidemment, on ne le leur dit pas ouvertement, mais elles savent bien que leur orientation sexuelle a un lien avec le fait qu'elles sont privées d'une promotion ou qu'on ne renouvelle pas leur contrat. Cette discrimination est insidieuse.»

Alors, le dire ou pas? Il n'y a pas de réponse unique ni de bonne ou de mauvaise stratégie à ce chapitre. Il incombe aux employeurs de créer un environnement de travail plus accueillant et sûr pour les homosexuels et les collègues. La chercheuse propose donc d'envoyer des messages d'ouverture, de se positionner contre la discrimination et de refuser les propos homophobes.

Pour en savoir plus: www.ccdmd.qc.ca/ri/homophobie/medias/pdfs/homophobie_integral.pdf