Un travail comme un autre, la prostitution? Un choix, pratiquer le plus vieux métier du monde? Et si, au lieu de parler en leur nom, on donnait enfin la parole aux femmes - filles de la rue, «escortes» et autres masseuses - pour avoir l'heure juste?

C'est exactement la démarche de la réalisatrice Ève Lamont (Squat!), qui signe, avec L'imposture, projeté ces jours-ci aux cinémas Parallèle à Montréal et Cartier à Québec, un film d'auteure engagé et surtout engageant.

Impossible, en effet, de rester insensible aux dizaines de témoignages de filles, certaines mineures, qui ont toutes vendu leur corps pour la même raison: faire de l'argent. Vite. Et surtout beaucoup. C'est que «l'envers du décor n'est pas rose», résume pudiquement une vétérane. Un commentaire lourd de sens, à l'image des dizaines d'autres qui suivront pendant l'heure et demie que dure le documentaire.

Loin d'être rose, donc, l'envers du décor est même encore plus sombre que ce à quoi s'attendait la réalisatrice. «Je voulais donner la voix aux sans-voix, dit-elle en entrevue. Mais mon hypothèse de départ était bien en deçà de la réalité. Même mon film est en deçà de la réalité. À la caméra, les filles se sont retenues pour ne pas tomber dans l'apitoiement. Mon film évite du coup le misérabilisme et le sensationnalisme.»

Pour faire son film, Ève Lamont a rencontré pendant quatre ans plus de 75 femmes, de 16 à 52 ans. Elle a parcouru Montréal, Québec, Ottawa et la Montérégie, à la recherche de témoignages variés, qui finissent néanmoins tous par se ressembler.

«J'ai été abusée sexuellement très jeune. J'avais une souffrance que je n'acceptais pas. Cela m'a amenée à avoir énormément honte de moi. Je me rejetais. Et puis j'ai eu besoin de drogue. Et d'argent. Et le seul moyen d'en faire, c'était de me prostituer. Je suis allée chercher là une forme de reconnaissance des hommes. Ils me disaient tous que j'étais belle, fine et gentille», témoigne une fille à l'écran.

Citée dans le film, l'anthropologue Rose Dufour (qui a fondé la Maison de Marthe, l'une des rares ressources québécoises pour les femmes désireuses de sortir de la prostitution) le souligne d'ailleurs clairement: les filles qui tombent dans la prostitution ont souvent un chemin tracé d'avance. La famille et l'environnement sont déterminants. Elle cite les facteurs de risque que sont les agressions sexuelles dans l'enfance, une mère prostituée, un copain proxénète et, en prime, un milieu de grande pauvreté. «Elles ne peuvent pas échapper à la prostitution en raison de leur misère sociale, résume-t-elle. La seule valeur qui leur est reconnue, c'est leur valeur sexuelle. Elles n'ont pas choisi cela. C'est leur milieu qui a eu cet effet sur leur identité.»

Ève Lamont s'élève contre un certain discours féministe qui continue de laisser entendre que la prostitution est un choix, une liberté. «Comme si c'était un épanouissement! C'est vraiment insoutenable. C'est un faux pouvoir, car c'est toujours le client qui décide, dit-elle. Ce n'est pas un métier, c'est une oppression!» Pire, poursuit-elle: cette oppression «normalise la subordination sexuelle des femmes et la violence masculine envers les femmes. C'est le summum des rapports inégalitaires».

Car les femmes interrogées ici sont détruites. Détruites à vie, fait-elle valoir: «Elles vivent avec des démons intérieurs. Des flash-back. Plusieurs ont des problèmes de santé mentale. Elles ont même le syndrome de stress post-traumatique!»

Solution? Arrêter de croire que la prostitution a toujours été et demeurera donc toujours. «Nous avons un choix de société à faire, conclut la réalisatrice. Il y a d'autres modèles. Il faut cesser d'incriminer ces femmes, et surtout pénaliser les clients et les proxénètes.» Un chemin que la Suède, la Norvège et l'Islande ont déjà emprunté.

L'imposture, documentaire signé Ève Lamont, jusqu'à jeudi au Cinéma Parallèle, à 19h10. Projections supplémentaires les 25 et 27 février ainsi que les 1er et 3 mars, à 17h30.

Photo: fournie par Martine Doyon

Ève Lamont, réalisatrice de L'imposture