Les centres sportifs réservés aux femmes connaissent une popularité grandissante. Accommodements, manque de confiance et dragueurs intimidants sont autant de raisons qui justifient de s'entraîner entre femmes seulement. Mais tout le monde n'apprécie pas.

Depuis la fin des années 90, ces gyms interdits aux hommes poussent comme des champignons. La chaîne Énergie Cardio possède 16 centres «pour elle» au Québec. Swann, concept québécois, exploite une quarantaine de franchises, tandis que les Curves, d'origine américaine, comptent quelque 10 000 succursales dans 85 pays. Qu'est-ce qui incite les femmes à s'entraîner entre elles? Diverses raisons sont invoquées. La cohabitation dans la section musculation n'est pas toujours facile avec les hommes qui soulèvent de lourdes charges, les laissent tomber bruyamment, et entretiennent une compétition entre eux. «Ça peut être intimidant, surtout quand l'utilisateur de la machine qu'on convoite vient de soulever 150 livres», explique Suzanne Laberge, professeure au département de kinésiologie à l'Université de Montréal. La transpiration et les odeurs plus fortes des hommes peuvent aussi en indisposer certaines.

Le manque de confiance

Le désir de s'entraîner entre femmes est aussi justifié par un sentiment de gêne et le besoin d'éviter les regards intrusifs. «Ce n'est pas tellement intéressant pour une femme qui n'a pas un profil de Barbie de s'entraîner entourée de mâles», souligne Suzanne Laberge. La mixité rebute surtout les plus rondes, qui se sentent jugées. «La compétition de l'image corporelle, la pression de la performance, tout ça mettait pour moi un frein énorme», explique Marie-Christine Bernard, professeure du Lac-Saint-Jean qui fait de l'exercice depuis 2008 dans un centre Curves.

Geneviève Dorais-Beauregard, consultante auprès d'organismes féministes, pense que l'entraînement physique est lié à l'intimité. «Pour plusieurs femmes qui ne sont pas à l'aise avec leur corps, s'entraîner sous les yeux des hommes peut être suffisamment angoissant pour qu'elles n'y aillent pas.»

L'autre avantage est la présence d'une garderie sur place pour un coût minimum chez Énergie Cardio ou de salles de jeux chez Swann. La jeune mère Isabelle Marjorie Tremblay ne se serait pas abonnée si son centre habituel n'avait été transformé en centre pour femmes. «C'est un peu plus cher et il n'y a rien de plus! L'avantage principal, c'est le service de garderie.»

Ces endroits sont aussi très courus par les femmes de confession musulmane qui autrement ne fréquenteraient pas un centre sportif. «Justement, je trouve qu'on encourage ainsi une forme d'intégrisme religieux où on sépare les hommes et les femmes», pense Daniel Rondeau, professeur de cégep qui s'entraîne dans un centre mixte de quartier. Comme lui, certains hommes y sentent un rejet et surtout le message que tous les hommes sont des grosses bêtes qui ne peuvent se maîtriser. «Je comprends les motivations des femmes qui y vont, mais je trouve étrange que ça existe, on envoie un drôle de message. Alors que notre société encourage l'égalité, on met les gars dans le même panier à cause de deux ou trois malpolis et on les exclut», lance Daniel Rondeau.

D'ailleurs, toutes les femmes ne se précipitent pas dans ces centres exclusifs. Plusieurs trouvent les prix trop élevés pour un service semblable aux endroits mixtes. «À la longue, je me suis tannée de ce lieu uniquement féminin, j'avais envie de cours en groupe plus diversifiés. Dans mon centre actuel, mixte, mon entraîneur est un spécialiste des arts martiaux et j'ai un programme de musculation très approprié», explique Dominique Rhéaume. D'autres pensent aussi que des centres féminins sous-estiment complètement la capacité des femmes de s'entraîner, car ils mettent l'accent sur des exercices qui utilisent de petits poids et beaucoup de répétitions, se concentrant sur le cardio comme moyen de perdre du poids. Marie-Claude Pitre, directrice marketing à Énergie Cardio, souligne que les centres pour femmes proposent des machines plus adaptées et la même diversité de cours. «On les encourage à travailler autant en musculation qu'en cardio.» Elle explique la différence de prix à cause des services offerts, principalement les garderies.

Discriminatoires, ces centres?

Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne (qui s'applique dans ce cas) prévoit que des groupes qui ont déjà subi de la discrimination, comme les femmes, les minorités visibles et les homosexuels, peuvent parfois profiter d'un traitement différent. Or, pour Lucie Lemonde, professeure et chercheuse au département des sciences juridiques de la Faculté de science politique et de droit de l'UQAM, spécialisée notamment en droits et libertés de la personne sur le plan national et international, l'existence même des centres d'entraînement féminins pourrait constituer une sorte de discrimination envers les hommes, car, à première vue, il n'y a aucune justification pour leur interdire le service. Les centres sportifs n'offrent pas des services spécifiques nécessaires aux femmes, comme de l'hébergement pour femmes violentées. De plus, leur côté lucratif serait une autre raison de les disqualifier des exceptions à la Charte. Contrairement au YWCA, par exemple, organisme sans but lucratif qui offre des services comme un programme d'alphabétisation ou d'aide à la recherche d'emploi, axé uniquement sur les besoins des femmes.

La Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec ne se prononce pas sur la question. Quelques plaintes contre les centres sportifs y ont bien été déposées par le passé, mais la Commission a exercé son droit de discrétion et n'a pas porté ces plaintes au tribunal. La seule cause du genre au Canada a été plaidée en 2006, en Colombie-Britannique. Un homme a porté plainte contre un centre sportif réservé aux femmes. Il a perdu. Dans le jugement, deux points en particulier semblent avoir été défavorables à sa cause. Le plaignant avait accès à un autre centre sportif plus proche de chez lui et il aurait pu y accéder au même coût qu'au centre réservé aux femmes.