Dix ans. Voilà 10 ans que la coiffeuse Nathalie St-Germain change un peu le monde à sa façon, offrant, gratuitement, une journée chaque mois de mai, une nouvelle tête à une vingtaine de femmes qui cherchent à sortir de la rue. Pour marquer le coup, les Éditions du remue-ménage publient, aujourd'hui, un livre unique, réunissant textes, photos, et dessins de ces femmes qui, à visage découvert, s'expriment pour la première fois sur leur vie. Sur le plaisir de se sentir belles. De le dire. Et surtout, de le montrer.

«C'est la première fois que des photos de ces femmes sont publiées, ici, à La rue des femmes (un organisme qui vient en aide aux itinérantes en difficulté, à Montréal). C'est que les femmes étaient fières. Elles sont belles sur ces photos, explique l'artiste Diane Trépanière, qui a codirigé le projet «Coiffer pour changer le monde». Les femmes en difficulté, on parle toujours de leurs difficultés, mais jamais de leur beauté! Or, quand on est capable de parler de soi, d'une belle façon, c'est déjà qu'on a retrouvé une certaine estime de soi», explique celle qui anime, depuis plus de 10 ans, des ateliers d'art thérapie à La rue des femmes.

Pourquoi coiffer des femmes de la rue, qui, pensez-vous, ont peut-être d'autres problèmes plus urgents à régler? La coiffeuse Nathalie St-Germain se souvient encore de ce qui l'a motivée, il y a plus de 10 ans, à se lancer dans le projet. C'était une journée froide. Au mois d'octobre. Elle venait de faire «la totale» à une cliente (un «makeover», dit-elle). Quand celle-ci est sortie, une passante, avec un enfant à la main («Il avait l'âge de mon fils. Mais il était en sandales. Fin octobre!») s'est exclamée: «Oh que c'est beau, que j'aimerais ça!» devant la coupe et la mise en plis réussies de sa cliente.

«J'avais tellement le goût de lui faire plaisir. De la faire entrer. Je trouvais tellement qu'elle faisait pitié. Mais je n'ai pas eu le courage. Je ne voulais pas l'humilier...» se repent encore la coiffeuse.

De fil en aiguille, en discutant avec son amie et désormais complice Diane Trépanière, elle a décidé d'organiser une journée consacrée aux femmes défavorisées, un lundi de mai, en collaboration avec La rue des femmes. Outre la coupe, les femmes auraient aussi droit à un maquillage, un souper, et même une soirée karaoké.

«Ma première femme, j'ai capoté, se souvient la coiffeuse en riant. Elle était assez costaude, avec un oeil au beurre noir. Je me disais: «Oh my God! Dans quoi je me suis embarquée?» Oui, j'ai eu peur.» Mais avec le shampoing, et surtout le contact humain, la dame a «fondu». Littéralement. «J'ai vu des larmes dans ses yeux. Elle a complètement perdu sa carapace de défense.» Et pas à moitié. En sortant, elle est en effet partie en direction de l'avenue du Mont-Royal. «Elle est allée quêter, pour m'acheter une rose. Je l'ai gardée sept ans. Et à partir de ce moment, je savais que j'allais poursuivre l'aventure.»

Pour Nathalie St-Germain, la coupe n'est d'ailleurs qu'un prétexte, «10% de ce que je fais», résume-t-elle. Et le reste? «C'est le contact, l'approche, le temps. Ces femmes-là sont tellement meurtries, moi, je veux leur donner de l'importance!»

Et les principales intéressées lui sont aussi drôlement reconnaissantes. Pour Odette Bougie, qui s'est retrouvée à la rue par une suite de malchances, cela ne fait aucun doute. Une nouvelle tête, ça «remonte le moral». «Normalement, on est débraillé. Et là, on se retrouve toutes transformées, pas reconnaissables, rafraîchies, agréables à voir!», se réjouit-elle.

Même son de cloche de la part de Louise Duval, ex-prostituée, qui a été grandement malade, et à qui, tout récemment, il a fallu retirer l'utérus. La coiffure a été thérapeutique, confie-t-elle. «On m'a retiré ma féminité, dit-elle, les yeux pleins de larmes. Et là, quand je suis arrivée au salon, je me suis fait dorloter, chouchouter, et on m'a redonné un visage féminin...»

Son projet, Nathalie St-Germain espère d'ailleurs qu'il ira loin. Même si son salon du Plateau vient de fermer (tué, dit-elle, par la hausse des taxes), Nathalie St-Germain affirme avoir plein d'idées en tête. La première, et non la moindre, étant de lancer une journée internationale «Coiffer pour changer le monde», invitant d'autres salons, tous les troisièmes lundis du mois de mai, à emboîter le pas. «Quand je vois tout le bien que ça m'apporte à moi, aux bénévoles, aux femmes, si d'autres salons participaient, avec d'autres centres d'hébergement, ce serait fantastique», rêve-t-elle.

Coiffer pour changer le monde, de Diane Trépanière, Éditions du remue-ménage, 99 p., 24,95$