Dimanche dernier, sous la pluie, un millier d'amazones glamours en dentelle et satin, de garçonnes en jeans et t-shirt, de travailleuses du sexe en dessous affriolants et même quelques mecs souriants ont défilé au centre-ville de Montréal en faveur de la «fierté salope». Portrait d'un mouvement tout neuf aux aspirations multiples.

«Arrêtez la violence, arrêtez le mépris», «Le consentement, c'est sexy», «Mon corps, mon droit», pouvait-on lire sur les pancartes colorées de ces manifestantes bigarrées en talons hauts, qui participaient à la première SlutWalk («marche des salopes») de Montréal.

«Le but de la marche, c'était de refuser que l'on continue à blâmer les victimes d'agressions sexuelles. Dans ce même esprit, il s'agissait aussi de se réapproprier le mot «slut» (salope) et ainsi défendre les travailleuses du sexe et aborder les problématiques de putophobie, de transphobie et les autres formes de discrimination», a rapporté Émilie Laliberté, porte-parole de STELLA, un des organismes derrière ce volet montréalais du mouvement. Le concept aussi fait des petites à Détroit, Chicago, Los Angeles, Amsterdam et plusieurs autres cités occidentales.

Tout a commencé par la grossière maladresse d'un policier de Toronto, Michael Sanguinetti. Celui-ci s'est mis le pied dans la bouche en avisant les étudiantes de l'école de droit Osgoode Hall que, pour mettre les chances de leur côté, tant sur un campus universitaire que dans la rue, à 3h du matin, la pudeur vestimentaire était de mise. «Je ne devrais pas dire ça, mais pour prévenir une agression sexuelle, a-t-il déclaré, évitez de vous habiller comme des salopes.»

En moins de temps qu'il ne faut pour ouvrir un compte Twitter, l'errance du policier a été récupérée par de jeunes militantes exaspérées par ces représentants de l'ordre qui associent «talons hauts et jupettes» à «invitation au viol». Depuis, sur la page Facebook des SlutWalks et sur les trottoirs des capitales, des marcheuses en col roulé ou en petites tenues revendiquent leur droit de montrer de la peau sans craindre le pire.

«Quand nous avons entendu ça, nous avons pété les plombs. Encore une fois, on blâme les victimes, en disant que leur façon de s'habiller est l'une des raisons de l'agression», rapporte Heather Jarvis, cofondatrice du mouvement à Toronto.

Dans la foulée du SlutWalk qui a mobilisé quelque 3000 Torontoises dans les rues de la Ville reine le mois dernier, la marche des salopes montréalaise a fait renaître des pulsions féministes enfouies, chez les descendantes de Simonne Monet-Chartrand et Léa Roback. La planète féministe n'a décidément plus le même visage. Aujourd'hui, les frangines de Lady Gaga se battent pour se réapproprier le terme «salope» et s'habiller à leur guise.

Au fait, quelle définition donner au mot «salope» ? «Dans sa version originale, c'est une personne qui ne se respecte pas, un être de seconde classe», dit Émilie Laliberté de STELLA. Et dans sa réappropriation positive? «C'est une personne qui se respecte, qui vit bien sa sexualité, qui a plusieurs rapports et se protège.»

Le discours des «salopes et fières de l'être» provoque une certaine inquiétude chez des féministes qui dénoncent l'hypersexualisation des filles et entendent les petites se traiter de «salopes» dans les cours d'école. Toutes s'entendent néanmoins pour dénoncer les discours de culpabilisation des victimes d'agression sexuelle.

Lise Goulet, porte-parole du Réseau pour la santé des femmes, constate la confusion des messages qui émergent du mouvement des SlutWalks. D'une part, elle craint que l'industrie de la pornographie ne récupère le message et envahisse encore plus la sphère publique, en banalisant certains comportements. Elle regrette aussi que l'identité féminine soit encore réduite à sa seule dimension sexuelle. «En voulant contrer certains stéréotypes, on les renforce», réfléchit-elle.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Christiane Pelchat, approuve le geste de celles qui sont sorties dans la rue pour dénoncer le fait qu'on dise aux femmes comment s'habiller. Et ce, même si l'organisme qu'elle défend est contre la légalisation de la prostitution. «Même si on se promenait toute nue, il n'y a aucune raison d'être agressée sexuellement. Rien ne justifie le viol, et la Cour suprême vient de nous le rappeler, avec la question du consentement.»

Fait étonnant: une branche des SlutWalks souhaite organiser une marche à Téhéran en avril 2012. Les Iraniennes vont-elles vraiment sortir au nom de leur droit à être sexy?

Un peu mal à l'aise, Heather Jarvis explique qu'il s'agit en fait de l'initiative un peu douteuse de deux Bostonnais. «Ce projet est né sur Facebook. Deux gars ont eu l'idée de faire manifester à Téhéran des femmes (occidentales) en burqas, qui recouvriraient des bikinis. Mais aucune Iranienne n'est impliquée», explique la militante, qui se dissocie de cette entreprise de récupération.

Bikini, burqa, bas filet, col roulé ou décolleté... Les femmes du monde entier finiront-elles pas se rallier au discours des salopes?