Le jour, Lianne McTavish enseigne l'histoire de l'art à l'Université de l'Alberta. Son champ de spécialité: l'image corporelle, à l'époque de la Renaissance.

Quand l'école est finie, cette intellectuelle de 43 ans travaille dur au gym, cuisine des repas hyper santé et relate le récit de sa transformation physique dans un blogue Look Hot While your Fight Patriarchy (ou, en traduction libre, «Soyez une bombe en combattant le patriarcat»), sous le pseudonyme à consonance «super héroïque» «Feminist Figure Girl».

En juin dernier, cette (nouvellement) blonde platine bronzée au vaporisateur, au cerveau aussi bien sculpté que ses abdominaux, a paradé en bikini et talons hauts dans une compétition de culturisme au nord de l'Alberta. Elle s'est classée 10e des 23 candidates.

Impressionnant, pour une dame qui, avant sa métamorphose radicale, portait des cheveux bruns, s'habillait en vêtements amples et confortables, pesait 30 livres de plus et fréquentait davantage les manifs pour le droit à l'avortement que les gymnases et les salons de beauté. S'en trouve-t-elle plus heureuse et épanouie? Oui: Mme McTavish s'est fait prendre à son propre jeu, se rendant compte à son grand étonnement qu'elle aimait bien toute l'attention masculine que lui valait sa nouvelle apparence.

«Je m'identifiais tellement à mon intellect, que je pensais que mon apparence physique n'avait aucune importance», a reconnu la dame, qui fait la preuve que n'importe qui, avec un peu de volonté, un bon entraîneur et pas mal de temps libre, peut afficher le corps de Madonna.

Lianne McTavish soutient que son projet est porteur d'un discours féministe. Mais il me semble que cette appropriation du corps comme une machine manipulable, transformable et «tatouable» - pour courir un marathon à 55 ans, se vêtir comme sa fille adolescente ou décrocher un rôle dans un clip de Lady Gaga - est une tendance plutôt unisexe de se réapproprier son corps et de défier le temps qui passe (et la gravité).

À l'instar des «ultramarathoniens» (qui courent jusqu'à 160 km), les gens comme Lianne McTavish, qui soumettent leurs corps à des défis aussi extrêmes, sont d'intéressants produits d'une époque où le corps est assimilé à une machine.

Eve Ensler - auteur des Monologues du vagin- dans une conférence où elle traitait de son rapport au corps, évoquait avec regret une période de sa vie de «déconnexion» où elle percevait son corps comme «un iPad ou une voiture». «Mon corps devait être maîtrisé ou conquis, comme la Terre. Je l'organisais, je le dirigeais et n'avais aucune patience pour ses faiblesses.»

Elle parle aussi de sa haine pour son ventre, quand elle a atteint la quarantaine, qui lui a inspiré une pièce de théâtre. Et, ultimement, du cancer qui l'a frappée. «Soudainement, j'avais un corps dont on a retiré des organes, un corps brûlé par des produits chimiques... Le cancer a fait exploser les murs de ma déconnexion.»

Entre superhéros et bourreaux de nos propres corps, la ligne est mince. Faudra voir à quoi ressembleront tous ces «corps machines» dans 20 ans...

feministfiguregirl.com