Depuis sa mort, Steve Jobs se fait toujours entendre, partout, sur la page d'accueil d'Apple, bien entendu, mais aussi dans les statuts Facebook de plein de gens inspirés par ses élans philosophiques. Jobs le bouddhiste, qui a déserté l'université pour séjourner dans un ashram, qui a été marié par un prêtre zen, avait un don indéniable pour formuler des phrases inspirantes, transcendantes.

De préceptes comme «il n'y a aucune raison de ne pas suivre son coeur» à «l'innovation est ce qui distingue un leader d'un suiveur» ou le désormais classique «votre temps est limité, ne le gaspillez pas en vivant l'existence de quelqu'un d'autre», le président d'Apple était aussi prolifique en réflexions spirituelles que le dalaï-lama.

Mais une fois qu'ont été partagés tous ces conseils inspirants pour toucher à la félicité, comment les humbles travailleurs qui fourmillent dans des tours à bureaux de Laval, Delhi ou Singapour peuvent-ils aspirer à «penser à l'extérieur de la boîte» ?

Jacques Forest, chercheur au département d'organisation et ressources humaines de l'UQAM, a peut-être la solution: apprendre à cultiver le «flow du bonheur».

Vulgarisation, S.V.P.? «Le flow du bonheur est une manifestation phénoménologique d'un état profond de concentration. Par exemple, c'est l'état atteint quand on est absorbé dans la lecture d'un bon livre et que rien ne peut nous perturber.»

Grâce à cet outil d'évaluation du bonheur dans les milieux de travail, Jacques Forest a pu constater que le fait de vivre des épisodes de concentration prolongée protégeait les travailleurs contre d'éventuelles phases d'épuisement professionnel. En revanche, les gens qui consacrent leurs heures de travail à faire autre chose que leur boulot, comme magasiner pour des pneus d'hiver ou mettre à jour leur statut Facebook, étaient des candidats au burnout.

«Les gens qui font un travail qui les intéresse, qu'ils estiment important et qui contribuent à quelque chose de plus large que soi sont plus susceptibles de vivre des épisodes de flow du bonheur», exprime Jacques Forest, qui ajoute que les motivations appelées en jargon scientifique «intrinsèques et identifiées» - soit le sentiment que son travail a un sens et sert le bien des autres - nourrissent davantage le bonheur que l'attrait pour l'argent, la gloire et le prestige.

En d'autres termes, un ego bien nourri ne fait pas un individu épanoui (conclusion qui ne saurait déplaire aux amis bouddhistes de Steve Jobs).

«Steve Jobs quitte un monde devenu meilleur, grâce à lui», a-t-on entendu, à la suite de la mort de ce maître de l'innovation, exemple de discipline, de rigueur et d'inventivité. Si les iPod, iBook et iPad ont en effet transformé nos vies, ils sont aussi de redoutables objets de distraction et d'interrupteurs de concentration.

Goûtez au flow et, ce faisant, honorez la mémoire de Jobs, qui a mis son génie à la contribution de la créativité individuelle: débranchez, renoncez au multitâche, baissez le volume d'information ingurgité et utilisez pleinement votre temps. Le bonheur, paraît-il, vous attend à la sortie de la boîte.