Dimanche matin, 11h45. Dans un vaste et lumineux studio du centre-ville, une quarantaine de «convertis» en camisoles et pantalons stretch, obéissent aux ordres d'une souriante dictatrice pourvue d'un oeil de lynx et d'une discipline militaire. Pour paraphraser le personnage d'Éric Bernier, dans Tout sur moi, nous voici en pleine séance «d'étirements de matantes». En d'autres termes, nous faisons du yoga.

«Quel est l'objectif de tout ça?» demande notre pimpante tortionnaire, comme pour meubler le silence alors que nous tentons tous de rester à peu près immobiles sur nos deux mains, avec les jambes en équilibre précaire par-dessus nos épaules, des gouttes de sueur perlant sur nos front plissés. «Ce que l'on cherche, c'est tout seulement de défier la gravité. Et souriez, ça rendra la pose plus facile», propose-t-elle.

Dans son film Planète Yoga, qui sort en salle cette semaine, le cinéaste Carlos Ferrand s'est donné l'immense mission de saisir les motivations communes de ces convertis au yoga qui, tout comme mes voisins de tapis du dimanche matin, sacrifient aisément brunch et grasse matinée pour «vaincre la gravité» et toucher à une parcelle de leur divinité intérieure (ou juste arriver à toucher à leurs orteils). «On parle beaucoup de l'épidémie d'obésité en Amérique du Nord. Mais on parle peu de l'épidémie de santé», fait valoir un prof de «yoga chaud» de Toronto.

Avec une cinquantaine de millions d'adeptes, seulement en Amérique du Nord, le yoga est une pratique spirituelle à la popularité galopante, a constaté Carlos Ferrand qui, curieux de comprendre le phénomène, est allé à la rencontre d'une «nomade du yoga» qui enseigne à des ados du Nunavut, un sexagénaire montréalais qui transmet sa science à des femmes atteintes du cancer du sein, une Californienne qui, après avoir connu l'enfer, a été «sauvée» par cette ascèse orientale.

Emballé par son sujet, Carlos Ferrand a poussé sa recherche documentaire jusqu'en Inde, à Rishikesh, pour aller à la rencontre de sages, maîtres spirituels et reclus qui ont abandonné la vie matérielle pour l'austérité yogique. Parce que le «véritable» but du yoga, rappelle-t-il, était jadis d'acquérir suffisamment de souplesse pour être apte à rester assis sur ses fesses pendant de longues heures de méditation.

Dépassé peut-être par la grandeur de son sujet, le documentaire Planète Yoga s'attarde surtout au destin de yogis engagés à fond dans cette voie. Ce faisant, il oublie un peu les dizaines de millions de civils en collants Lululemon, qui sur l'heure de lunch ou après le boulot, s'adonnent au yoga pour être mieux concentré, d'humeur plus sereine, ne pas (trop) péter les plombs dans les bouchons de circulation ou juste se préparer à vieillir en santé.

«Ceux qui souffrent profitent le plus du yoga. Mais qui souffre? Tout le monde», résume avec philosophie, une maître de yoga française interviewée par Carlos Ferrand.

Pour moins souffrir, mais aussi pour flotter un peu. Et si c'est bon pour les sages indiens, c'est certainement bon pour les travailleurs stressés de l'Occident. Les étirements de matantes n'ont pas fini leur recrutement pour la guerre à la gravité.