Manger ou boire? Un étudiant à l'université sur six se priverait de manger dans la journée pour mieux se défoncer à l'alcool le soir venu, selon une étude de l'Université du Missouri. Les filles seraient trois fois plus à risques d'adopter ce comportement qu'on appelle «alcorexie» ou «drunkorexie». A-t-on raison de s'inquiéter?

«Il n'y a pas encore lieu de s'alarmer au Québec, le problème demeure très marginal, assure Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool. On doit être vigilant, mais on remarque que l'alcorexie est un phénomène typiquement anglo-saxon et scandinave. Ce n'est rien de nouveau.»

Selon un sondage en ligne réalisé auprès d'un millier d'étudiants américains, 16% d'entre eux - en majorité des femmes - jeûneraient avant une cuite pour limiter les calories ingérées, ressentir les effets de l'alcool plus rapidement et, en fin de compte, économiser de l'argent. «Dans ce milieu, c'est socialement acceptable d'être saoul, mais ce n'est pas socialement acceptable d'être gros. Le culte du corps est omniprésent», note Hubert Sacy.

Selon Éduc'alcool, on remarque trois tendances mondiales liées à la consommation d'alcool chez les jeunes: l'«alcorexie», le mélange d'alcool et de boissons énergisantes, et le «botellon», c'est-à-dire la consommation de groupe dans la rue. Les adeptes d'«alcorexie» sont essentiellement les jeunes femmes célibataires, les étudiantes et les «posh mummies» (mamans chic). «Ceci dit, ce n'est pas un phénomène extraordinairement répandu et encore moins dans les pays francophones, mais on garde l'oeil ouvert», souligne Hubert Sacy.

Trouble alimentaire?

Professeur au Département d'anthropologie et de sociologie de l'Université Concordia, Sylvia Kairouz n'est pas à l'aise avec les appellations «drunkorexie» ou «alcorexie», qui supposent un mal sérieux. «Il est facile de faire des associations. Avant de se prononcer, il faudrait faire des études plus poussées sur la façon dont les jeunes femmes se représentent et gèrent leur consommation d'alcool en fonction de leur contrôle de poids. Je crois qu'il s'agit plus d'un problème de gestion de l'image du corps que d'un problème de dépendance. L'idée de couper judicieusement des calories, en favorisant une alimentation équilibrée, lorsqu'on veut boire quelques consommations d'alcool le soir n'est pas mauvaise. On l'a tous déjà fait. Le problème est dans l'excès.»

S'agit-il d'un réel trouble alimentaire? «Je crois qu'on charrie un peu dans les médias. Les filles dont on parle sont bien, mais veulent rester minces tout en buvant de l'alcool», dit le docteur Jean Wilkins, responsable de la Clinique des troubles de la conduite alimentaire du CHU Sainte-Justine. «En raison de leur petit poids et de la pression sociale, les filles déjà anorexiques sont néanmoins très à risque d'intoxication lors de consommation d'alcool.» Le Dr Wilkins se fait un devoir de prévenir ses patientes qui, à l'occasion du bal de fin d'études par exemple, seraient tentées de boire. «J'ai vu des filles aux soins intensifs, intubées, en coma éthylique.»

Une sous-alimentation liée à une consommation d'alcool excessive constitue un mélange explosif. Que ces épisodes soient occasionnels ou répétitifs. «À court terme, il y a un risque d'intoxication aiguë. À long terme, on peut développer des problèmes au foie, aux reins et aux poumons, des problèmes d'infertilité, de l'ostéoporose précoce et des problèmes mentaux, explique le directeur d'Éduc'alcool. Sans dramatiser, il faut mettre les jeunes en garde. S'il y une chose qui est saine en matière de consommation d'alcool, c'est précisément de mélanger alcool et nourriture. C'est le modèle de consommation le plus sain et le plus agréable qui soit.»

«Binge drinking»: fausse alarme?

Le phénomène du « binge drinking », ou épisode de consommation d'alcool excessive, est fortement médiatisé. Une tendance qu'on dit, à tort, à la hausse. «On en parle beaucoup aujourd'hui, mais il faut relativiser : c'est un phénomène plutôt stable », indique Sylvia Kairouz, chercheuse en épidémiologie des toxicomanies. Les jeunes boivent moins qu'avant, mais parmi ceux qui boivent, 40% le font avec excès. C'est comme ça depuis 30 ans. « Il y a une culture du boire qui est là depuis longtemps, indique Mme Kairouz. Il faut tout de même être vigilant et faire de la sensibilisation auprès des étudiants afin de réduire les problèmes associés comme la conduite en état d'ébriété, les relations sexuelles non protégées , la violence, l 'absentéisme et les mauvaises performances scolaires. » Les transformations du cerveau adolescent expliqueraient cette tendance à l'abus. Selon Éduc'alcool : « [...] le cerveau des adolescents est inachevé et en voie de transformation majeure durant cette période particulière de leur vie [...] les centres responsables des émotions sont particulièrement modifiés. L'intensité émotionnelle de l'adolescence est un phénomène qui s'explique par le développement neurochimique du cerveau. Par ailleurs, les lobes frontaux du cerveau sont les éléments dont la maturité est la plus tardive, et c'est là où sont situées les facultés de planification, de stratégie, d'organisation, de concentration et d'attention. Un adolescent ressent donc intensément les choses, tout en ayant une grande difficulté à se projeter dans le temps et, parfois, à prévoir les conséquences de ses comportements, notamment de ses comportements à risque. »

Consommations recommandées

-Les femmes qui veulent consommer de l'alcool de façon modérée devraient se limiter à 2 verres par jour et à un maximum de 10 verres par semaine.

-Les hommes qui veulent boire de façon modérée devraient se limiter à 3 verres par jour et à un maximum de 15 verres par semaine.

-Afin d'éviter l'intoxication et les complications qui l'accompagnent, les femmes ne devraient pas prendre plus de 3 verres en une même occasion.

-Les hommes qui veulent éviter l'intoxication et les complications qui l'accompagnent ne devraient pas prendre plus de 4 consommations en une même occasion.

-Afin d'éviter qu'une accoutumance ou qu'une dépendance ne s'installe, il est recommandé que tous ne prennent aucune consommation d'alcool au moins une ou deux journées par semaine.

Une consommation normale, c'est...

-Un verre de bière (341 ml ou 12 oz à 5% d'alcool) = environ 145 calories

-Un verre de vin (142 ml ou 5 oz à 12% d'alcool) = environ 120 calories

-Un verre de vin fortifié (85 ml ou 3 oz à 20% d'alcool) = environ 115 calories

-Un verre de spiritueux (43 ml ou 1,5 oz à 40% d'alcool) = environ 100 calories