La maison, un spectacle élaboré avec des filles de la rue, est présenté dès ce soir au Théâtre Denise-Pelletier. Histoire d'une création pas comme les autres.

«No stress. Prends une grande respiration. Pas besoin de vérifier sur ton iPhone. T'es capable. T'es capable sans filet!»

Nous sommes dans un petit local. Une dizaine de filles répètent, à quelques jours de la générale. Mais pas n'importe laquelle: ici, ce sont à la fois des filles de la rue et des professionnelles qui vont monter sur scène. Ensemble. Dans un même spectacle. Et pas n'importe où: quatre soirs à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

Mais la tension (et l'excitation!) est palpable. «O.K., no stress!» répète la jeune femme, visiblement toujours aussi stressée. Elle reprend. Son texte coule enfin. Impeccable. «Laissez-moi deviner, vous avez entendu parler de la cure miracle et c'est ici que vous êtes venus, récite-t-elle, un peu vite, mais cette fois sans accroc. Vous y êtes allés avec la rumeur, parce que ça a l'air que tous ceux qui sont passés par là, quand ils sont revenus, ils allaient mieux. Aller mieux, c'est urgent, je comprends...»

Un texte à leur image

Le texte, c'est elles qui l'ont écrit: une trentaine de filles de Passages, un centre d'hébergement et d'insertion pour jeunes femmes en difficulté. S'inspirant du roman Océan Mer d'Alessandro Baricco, elles ont travaillé d'arrache-pied pendant plus de 200 heures pour accoucher d'une pièce à leur image, La maison. «Moi, j'ai toujours dit que cette maison, ça aurait pu être Passages», résume à cet effet la metteure en scène, adaptatrice et instigatrice du projet, Michelle Parent, qui donne des ateliers de théâtre à Passages depuis trois ans maintenant. «Je suis partie d'un roman, explique celle qui précise n'être ni intervenante ni art-thérapeute, mais plutôt artiste. Parce que je trouvais important d'avoir un élément extérieur. Je ne voulais pas qu'on parle juste de marginalisation. Je voulais qu'on s'en éloigne. Et le roman nous a permis de nous propulser dans l'imaginaire.»

Ainsi, tout comme dans le texte de Baricco, La Maison raconte l'histoire d'une série de personnages qui se réunissent dans une maison pour être sauvés. Mais à la différence du roman, La maison n'est pas ici sur le bord de la mer. «Moi, je parlais beaucoup de la métaphore de la mer et de son immensité pendant les ateliers, poursuit-elle, et puis à un moment donné, les filles ont mis leur poing sur la table: arrête avec la mer, on ne sait même pas c'est quoi! On ne l'a jamais vue!» De là naissait le concept même de la pièce, leur pièce: «Des personnages qui croient tous que la mer peut les sauver, mais qui ne la connaissent pas. Ils ne voient pas la mer, alors ils la font, dans la maison. C'est une mer artisanale.»

Sortir du milieu du théâtre

C'est la troisième fois que Michelle Parent travaille ainsi avec des comédiens non professionnels (elle a monté un premier spectacle avec des filles de Passages, et un deuxième avec des personnes âgées). En fait, elle a fondé le collectif Pirata Théâtre précisément pour la cause: «Sortir un peu du milieu du théâtre, explique-t-elle. Sur scène, dans les salles, c'est souvent juste des gens de théâtre. Moi, j'avais besoin de chercher d'autres voies. J'avais l'impression qu'il y avait un certain hermétisme dans le monde du théâtre. On refait le monde sur scène, on parle de tellement de sujets! J'avais besoin d'aller voir, d'aller entendre des gens qui n'ont pas accès à la scène.»

Non, le travail n'est pas toujours facile, avoue-t-elle. «Quand les comédiennes ont une vie instable, c'est dur de se projeter dans l'avenir. Parfois, elles ne savent même pas où elles vont dormir le soir même!» Il a donc fallu gagner leur confiance, créer un sentiment d'appartenance, et puis surtout générer un engagement de leur part. Certaines n'ont assisté aux ateliers qu'une seule fois. D'autres sont restées plusieurs mois. Sur scène, ce soir, elles seront cinq, en plus des comédiennes professionnelles.

Fières d'avoir réussi

«Moi, je rêve d'être comédienne. Je suis vraiment fière de moi d'avoir été capable d'avoir un rôle. En plus, mes grands-parents vont venir me voir à la grande première, confie Émilie Perreault, 27 ans, qui en est ici à son grand baptême de la scène. Pour moi, le théâtre, c'est le bonheur!»

Marilene Desaulniers, 22 ans, enchaîne avec le même enthousiasme. «Le théâtre me permet de m'évader. De sourire, explique la jeune fille, enceinte jusqu'aux oreilles. Ça m'a vraiment donné confiance en moi.»

Michelle Parent n'en doute d'ailleurs pas: l'expérience a certainement fait évoluer les filles «par la bande». «Elles prennent peut-être plus soin d'elles, pour s'assurer d'être là le soir. Nous, cette semaine, on s'assure qu'elles aient un endroit où dormir, un bon repas. Depuis le début, les répétitions offrent aussi quelque chose de structurant, on a des devoirs, on dépend tous de tout le monde. Le sentiment d'appartenance est très fort.»

N'empêche qu'au-delà du travail certes «communautaire», la metteure en scène espère que le public retiendra surtout autre chose: l'oeuvre. «Je suis très consciente que le spectacle a quelque chose d'événementiel. Mais j'espère qu'en sortant, le public se sera fait raconter une histoire. Malgré les maladresses. J'aime pas dire ça, mais j'aimerais que les gens n'aillent pas juste voir, entre guillemets, une oeuvre de bienfaisance. J'aimerais qu'on dépasse cette étiquette et qu'on voie la couleur de l'imaginaire de ces filles-là.»

La maison, une production du collectif Pirata Théâtre en partenariat avec Passages, du 9 au 12 novembre, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Complet ce soir. Réservations requisesau 514-253-8974 ou sur le réseau Admission au 514-790-1245