Sur les écrans québécois depuis vendredi, le film Une méthode dangereuse de David Cronenberg remet sur le devant de la scène, sur fond romancé, les débuts houleux de la psychanalyse inventée par l'Autrichien Sigmund Freud. Un siècle plus tard, comment se porte la méthode? Plutôt mal. Au Québec comme ailleurs.

Solidement ancrée dans l'imaginaire collectif, la psychanalyse est aujourd'hui partout. Dans les magazines féminins. Dans les films de Woody Allen. Dans le dessin animé South Park. Même dans nos plus banales conversations. Qui n'a jamais entendu parler du complexe d'OEdipe, de désirs ou de souvenirs refoulés?

La psychanalyse, méthode qui explore les processus psychiques profonds, fascine tout un chacun. «Dès qu'on parle de cul, les gens aiment ça. Selon Freud, tous les problèmes sont des désirs sexuels refoulés. Sait-on qu'il a élaboré cette théorie sous l'effet de la cocaïne? Les gens sont aussi fascinés par l'irrationnel, mais ils ignorent les critiques», résume Serge Larivée, professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal.

Malgré son poids dans le sens commun, la psychanalyse va mal. Des scientifiques la qualifient de pseudoscience, voire d'escroquerie. Les clients prêts à s'étendre sur le divan quatre ou cinq fois par semaine se font rares. Et dans les départements de psychologie, les neurosciences et l'approche cognitive comportementale volent la vedette. En profonde crise, la méthode de Freud est vouée à disparaître, avancent même des experts du milieu. À moins de sérieusement redresser la barre.

«La psychanalyse vit une crise. Les instituts de psychanalyse ont de grandes difficultés partout en Occident, affirme Louis Diguer, professeur à l'École de psychologie de l'Université Laval. Il y a des gens dans le milieu psychanalytique qui pensent qu'elle est dans un processus d'autodestruction si elle ne s'ouvre pas à d'autres disciplines et si elle ne rétablit pas des ponts. Je pense que Freud serait mal à l'aise avec la situation actuelle.» M. Diguer enseigne les fondements de la psychanalyse au baccalauréat.

Une fraude?

Jamais la psychanalyse n'a pu prouver son efficacité selon les critères scientifiques établis. Freud aurait falsifié ses résultats et même inventé certains cas de toutes pièces. On l'accuse d'avoir fait siennes, sans le dire, les pensées de Nietzsche, Schopenhauer et Dostoïevski. «La psychanalyse est probablement l'une des plus grosses fraudes depuis le début de l'univers, affirme Serge Larivée. Freud a menti toute sa vie, il n'a guéri absolument personne. Ce n'est pas un scientifique, c'est un littéraire. J'attends toujours des preuves de l'efficacité de cette méthode, il n'existe aucun cas de guérison connue.» Louis Diguer nuance: «Freud était cachotier, il a brouillé les pistes. Il parlait de lui à travers ses patients. Mais je ne crois pas que c'était une tromperie volontaire. C'était une autre époque, une société particulière.»

N'empêche, les détracteurs sont depuis toujours nombreux et féroces. Jung, Lacan et autres Bettelheim passent aussi au tordeur. La France, où la psychanalyse est bien portante, ne fait pas exception. En 2010, le philosophe Michel Onfray a fait grand bruit avec Le crépuscule d'une idole. Il avance que «le freudisme et la psychanalyse reposent sur une affabulation de haute volée appuyée sur une série de légendes».

La psychanalyse évolue en vase clos, avec ses propres codes, faisant fi des critiques extérieures. Elle s'est créé son propre modèle «expérimental» en marge de la science. «Comme une secte, les psychanalystes ne tolèrent pas les débats. Ils restent entre eux», souligne Serge Larivée.

Louis Diguer abonde dans son sens. «La psychanalyse est en partie responsable de beaucoup de ses critiques, on a parfois raison de penser qu'elle est une pseudoscience. Quand on est dans une position d'isolement épistémologique, c'est indéfendable. Elle ne se nourrit pas des autres disciplines. Aux États-Unis, des gens travaillent très fort pour la faire sortir de son abri. Certains individus l'ont tenue comme un dogme, ils ont vu dans le texte de Freud une sorte de révélation. En science, on doit se remettre en question.»

Louis Brunet est président de la Société psychanalytique de Montréal et directeur du département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal. Selon lui, par contre, la psychanalyse est une science. «C'est un mythe populaire de croire que l'on applique à la lettre ce que Freud a dit en 1902. Ça a beaucoup bougé et ça continue d'avancer. Il y a beaucoup d'avancées théoriques, de développements, la mise sur pied de groupes de recherche à partir d'études de cas. Depuis 10 ans, la psychanalyse rattrape le retard qu'elle avait: on commence à faire des recherches sur des cohortes avec groupe contrôle, telles que la science d'aujourd'hui l'exige.» Il cite notamment les travaux de Hoglend et Leichsenring.

Faire ses preuves

Serge Larivée est catégorique: la psychanalyse n'a toujours pas fait ses preuves. «On n'a que des anecdotes, mais mille anecdotes ne font pas un fait. Il y a autant d'interprétations que de psychanalystes. On peut dire n'importe quoi. Une femme a peur des chiens? C'est probablement une envie de pénis refoulé, dira l'un. Son collègue dira autre chose. Ça peut faire des torts considérables, d'autant plus qu'un traitement peut durer toute une vie.»

Présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest ne croit pas qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain. «Je suis contre les psychanalystes pour qui, en dehors de la psychanalyse, il n'y a point de salut. Je suis aussi contre ceux qui jettent la psychanalyse d'un revers de la main, dit-elle. Le psychanalyse nous a beaucoup appris. Plusieurs approches en psychologie demeurent inspirées du modèle psychanalytique. Les fondements de la psychanalyse sont difficiles à démontrer, tout comme l'est son inefficacité. Ceci dit, c'est un modèle fascinant pour expliquer la personnalité humaine.»

Qu'est-ce qu'un psychanalyste?

Au Québec, n'importe qui peut se donner le titre de psychanalyste. Vous affectionnez les divans? Vous avez un bon sens de l'écoute? Bingo. La porte est ouverte aux charlatans. Aujourd'hui, le Canada ne compte que 350 psychanalystes reconnus par la Société canadienne de psychanalyse (SCP) et ses organismes associés. Pour cela, ils doivent détenir une formation universitaire (la plupart sont médecins ou psychologues), se prêter à une psychanalyse personnelle et suivre une formation clinique dans un institut lié à la SCP (de 4 à 6 ans, à raison de 20 heures par semaine).

La cure type - le patient allongé sur le divan disant tout ce qui traverse son esprit plusieurs fois par semaine - existe toujours. «Elle permet d'aller plus en profondeur, mais la psychanalyse, c'est bien plus que ça, dit Louis Brunet, président de la Société psychanalytique de Montréal. Les patients sont parfois assis face au thérapeute, les consultations sont moins fréquentes. Les gens viennent chercher ce dont ils ont besoin. Ça peut prendre un an ou plusieurs années. Tout dépend de ce que la personne recherche.»

Avec l'entrée en vigueur en avril prochain de la loi 21 (qui réglemente la psychothérapie), les psychanalystes devront posséder un permis délivré par l'Ordre des psychologues du Québec pour pratiquer.

Attention: le psychologue d'orientation psychodynamique analytique n'est pas psychanalyste. Il s'inspire de la méthode psychanalytique, mais est soumis aux règles de fonctionnement de la psychologie. Selon les chiffres de l'Ordre des psychologues du Québec, 24% des psychologues sont d'orientation psychodynamique analytique.