Comment une jolie esthéticienne de Sainte-Foy devient-elle une fille de bois capable de se laver une fois par semaine et de vivre sans eau courante? L'auteure à succès Mylène Gilbert-Dumas, répond à cette question dans Yukonnaise, dans lequel elle raconte le parcours d'une jeune femme qui troque son confort contre la liberté en choisissant de vivre au Yukon. Un parcours qui n'est pas étranger au sien. Quand l'appel du Nord se fait entendre...

Lorsqu'elle parle du Yukon, Mylène Gilbert-Dumas est intarissable. «J'ai donné une conférence sur le sujet hier soir, j'ai parlé pendant deux heures!» Dès son premier contact avec ce territoire canadien situé à 6000 km de Montréal, il y a 10 ans, l'auteure de L'escapade sans retour de Sophie Parent a eu un coup de foudre. «J'ai aimé l'air pur, le goût de l'eau, l'absence de pollution. Et l'atmosphère relaxe, que j'ai sentie tout de suite.»

Sa passion a grandi d'un séjour à l'autre, particulièrement lorsqu'elle a découvert la ville de Dawson - 1200 habitants l'hiver, 5000 l'été avec le tourisme. Elle est maintenant tellement amoureuse du Yukon que l'hiver prochain, elle ira s'installer dans une cabane sans eau courante pendant trois mois. «C'est ça pour beaucoup de monde la vie dans le Nord, raconte en souriant la volubile auteure. Je sais que c'est difficile à imaginer ici.»

Le Yukon, c'est l'autre bout du monde, le «lieu de tous les possibles» réunissant une communauté d'aventuriers - autant de femmes que d'hommes- allergiques aux contraintes et épris de liberté, doux cinglés qui vivent dans un esprit d'entraide et de convivialité. «J'y ai passé l'hiver en 2010, en résidence d'écrivain. J'ai tellement aimé les gens que j'ai décidé de faire de moi une Jack London en faisant des entrevues pour comprendre c'était quoi leur vie à ces gens. Ma première question, c'était justement comment on fait, en 2010, pour vivre sans eau courante...»

Intégrée et adoptée

«L'important au Yukon, ce n'est pas ce que tu as été dans le Sud, c'est comment tu es dans le Nord!» Elle y est retournée l'hiver suivant pour continuer à poser des questions de plus en plus intimes. De toute cette recherche est né Yukonnaise, roman qui raconte l'histoire d'une esthéticienne de Sainte-Foy partie au Yukon par amour, et qui décidera d'y rester malgré sa rupture.

«J'ai voulu créer un personnage qui était le plus loin possible de l'esprit de ce lieu où les apparences ne comptent pas, où on s'habille n'importe comment. Pour moi, l'esthéticienne de Sainte-Foy, c'est ça; elle a un choc culturel incroyable en arrivant là-bas! Tu sais, il y a un festival au moment de la fonte des neiges où il y a plein de concours bizarres et drôles, genre le lancer de la tronçonneuse. Parmi les compétitions, il y a celle où on mesure la longueur du poil sur les jambes des femmes...»

Mylène Gilbert-Dumas raconte donc le long chemin parcouru par Isabelle, petite poupée fragile qui finira pourtant par se laisser séduire par la grande liberté du Nord, à se défaire de son obsession pour son look et à trouver qui elle est vraiment. «Pour montrer cette piqûre, il fallait que je la raconte de l'intérieur. Seul le roman me permettait ça, plus qu'un essai ou un récit.»

Long processus

Rompre avec le confort moderne et ses habitudes de consommation se fait d'ailleurs en plusieurs étapes. Comme le personnage d'Isabelle, la plupart des gens qui vivent au Yukon font plusieurs aller-retour avant de s'y installer définitivement.

«C'est presque une démarche spirituelle», dit Mylène Gilbert-Dumas, qui n'est pas prête à faire le pas, mais qui, manifestement, s'en rapproche de plus en plus. Mais tout le monde n'est pas fait pour vivre dans le Nord, ajoute-t-elle. «À cause du confort, qui est une valeur importante ici, alors que là-bas, c'est secondaire. La liberté, cependant, c'est primordial. C'est tellement grisant qu'on est toujours un peu feeling

Et cette liberté est non négociable. C'est au bout de plusieurs séjours qu'elle a compris pourquoi il y avait tant de célibataires au mètre carré. «Ils sont tellement indépendants! Là-bas, tout le monde fait tout. Les femmes sont autonomes et manient tous les outils, les hommes cuisinent. Nos relations de couple, en Occident, sont basées sur l'interdépendance. C'est le seul modèle qu'on connaît, mais il est difficilement applicable là-bas. En plus, vivre à deux dans des maisons si petites, c'est à peu près impossible. Les seuls couples qui marchent bien sont ceux où chacun vit dans sa maison.»

On ne peut pas parler du Nord sans parler du froid... auquel on s'habitue et qui devient même quasi anecdotique, dans la mesure où on s'habille en conséquence. «Avant, je pensais que je vivais dans le Nord, maintenant je constate que je vis dans le Sud», rigole Mylène Gilbert-Dumas. Mais il y a des leçons à tirer de la vie dans le Yukon, où les gens s'adaptent à la vie en hiver. Ici, on agit comme si on vivait sur le bord de la Méditerranée! J'avais lu le livre de Bernard Arcand, Abolissons l'hiver, et dans le fond ce n'est pas fou ce qu'il dit: il propose que l'hiver, on arrête tout. C'est exactement ce qu'ils font au Yukon: à -40 de toute façon, les autos ne roulent pas.»

Le froid n'empêche pourtant pas les gens de vivre dehors. «Être si près de la nature, pouvoir faire du canot sur la rivière Klondike, aller à la pêche à deux heures du matin, partager le territoire avec les ours... C'est ça, le Nord.» Que vaut une salle de bains à côté?

Yukonnaise, de Mylène Gilbert-Dumas, éd. VLB, 356 p. 29,95$