En matière de «sexe», une seule chose fait quasiment l'unanimité dans le monde du vin. Il est communément admis que certains vins, indépendamment de la personne qui les a produits, sont plutôt féminins et que d'autres possèdent des qualités normalement attribuées aux hommes (robuste, charpenté, planté, etc.).

Prenez le vigneron bourguignon Olivier Guyot, un homme on ne peut plus viril. Lors d'un récent souper au restaurant Lawrence, il n'y a même pas pensé deux fois avant de déclarer: «Voyez, ce Chambolle, il est très féminin.» Et d'ajouter, comme pour brouiller les cartes. «Ma femme préfère de loin le Gevrey, plus costaud.» Ces deux vins, faits par le même homme, avec le même cépage (pinot noir), du même millésime (2008), en utilisant exactement la même méthode de vinification, ne sont pas du même «sexe» ! Question de terroir, finalement. Et le terroir, lui, a-t-il un sexe?

Mais revenons aux mots. Faut-il bannir du vocabulaire oenologique les termes qui connotent? «Ce serait dommage d'éliminer certains mots, certaines images pour être politiquement correct, lance Patrick St-Vincent, sommelier d'expérience et copropriétaire du nouveau restaurant Le Filet. Délicat, subtil, élégant, souple, charnu, robuste, viril, bourru sont tous des mots très efficaces et imagés pour décrire un vin. Il faut que la poésie et l'humour restent présents dans notre appréciation du vin.»

Hardi, le sommelier serait même prêt à appuyer une thèse souvent réfutée voulant que les femmes font le vin différemment des hommes. «Il y a des décisions artistiques qui sont prises dans les chais des vignobles et je crois que les femmes sont plus intelligentes que les hommes dans leur manière de goûter et d'apprécier le vin.»

Dire qu'il fut un temps où les femmes n'avaient même pas accès aux caves, parce qu'on croyait que leurs menstruations faisaient tourner le vin!

«Je pense réellement qu'une patte féminine apporte une différence positive dans le vin, du moment où l'on est prêt à sortir du mythe du buveur viril qui ne cherche que des gros vins. Les vins de femmes ont plus de finesse et d'élégance, affirme pour sa part Philip Morisset, sommelier chez Accords. Le restaurant tiendra les 5 à 7 des productrices tous les soirs de Montréal en lumière, en plus de recevoir la grande Véronique Sanders du Château Haut-Bailly, les 22 et 23 février.

Theo Diamantis, de l'agence d'importation Oenopole, croit que le vin n'a pas de sexe, mais, plutôt, une personnalité. «Il y a des femmes qui sont plus viriles que certains hommes et des hommes qui sont plus délicats et sensibles que la moyenne des femmes. Prenons par exemple Arianna Occhipinti, très jeune vigneronne de la Sicile qui fait des vins naturels, suaves, légers. Elle a tout appris de son oncle Giusto, qui lui aussi fait des vins très délicats.»

Sa collègue Aurélia Filion, qui signe aussi les capsules de dégustation Bu sur le web, déclare que «parler de sexe, c'est comme parler d'horoscope: des fois ça correspond, d'autres fois pas du tout». Elle se souviendra toujours d'un client qui, aux débuts d'Oenopole, lui avait lancé que les vins qu'elle faisait importer avaient tous une touche féminine. «J'avais trouvé ça facile comme rapprochement. Ce n'est pas mon sexe qui teinte mes choix, mais mes goûts.» La preuve? Elle travaille avec deux hommes qui, semble-t-il, ont les mêmes goûts qu'elle.

Est-ce parce qu'elle est femme qu'Etheliya Hananova, sommelière au restaurant Lawrence, ne qualifie jamais un vin de féminin ou de masculin? «Je crois qu'une bonne partie de la nouvelle génération de sommeliers québécois s'intéresse davantage au processus. Les vins sont sélectionnés parce qu'ils sont bons, oui, mais aussi pour l'histoire qu'ils racontent. On aime bien renseigner les clients sur la provenance du vin, le producteur ou la productrice, les techniques de vinification et ensuite donner quelques informations sur le style du vin, mais dans des termes assez généraux, pour laisser à la personne qui déguste la chance de découvrir le vin par elle-même.»

Des femmes entourées d'hommes

Et le fait d'être une femme dans un milieu majoritairement masculin, «quossa donne» ? Les quatre productrices interrogées pour cet article jurent qu'il y a beaucoup plus de bon que de mauvais.

«Une femme qui sait ce qu'elle fait, qui est passionnée, qui travaille avec une intention pure et, surtout, qui travaille fort, réussira à gagner le respect de ses pairs, croit la vigneronne italienne Elisabetta Foradori, qui a repris le domaine paternel alors qu'elle n'avait que 20 ans. C'est aussi simple que ça.»

Cela dit, la productrice qui travaille en biodynamie fera sans doute sursauter nombre de féministes en déclarant que «les femmes travaillent avec beaucoup d'instinct, d'humilité, de modestie, de sensibilité. Elles sont plus près de la nature».

«Être une femme vigneronne, ça reste atypique. Il y a toujours un peu de suspicion. Je le sens gentiment», admet Christine Vernay, du domaine Georges Vernay. Il faut dire que la fille du «pape du Condrieu» a débarqué de Paris avec son diplôme de la Sorbonne, pour reprendre le domaine familial, dans la vallée du Rhône. Elle était «attendue». Et n'avait pas droit à l'échec.

«Mais je ne me suis jamais préoccupée de ça, dit-elle. Je dirais même que je trouve ça intéressant d'être une femme dans le monde du vin, car certains hommes ont toujours cette idée que les femmes ne sont pas des concurrentes, ce qui laisse plus de liberté et de marge de manoeuvre.»

Cela dit, depuis que l'autodidacte a fait sa première vinification, en 1997, elle a remarqué que les journalistes, critiques et autres acteurs du monde du vin ont commencé à qualifier les produits du Domaine de «féminins». «Avec l'appellation Condrieu, je n'ai pourtant fait que poursuivre le travail de mon père, qui faisait un vin très aérien, tout en finesse et en élégance. Et pourtant, jamais on n'avait dit de ses vins qu'ils étaient féminins. Ça, ça m'agace un peu.»

Véronique Sanders est présidente-directrice générale d'un des plus prestigieux châteaux du Bordelais. Sans faire exprès, au fil des années, elle s'est entourée d'une équipe constituée à parts égales d'hommes et de femmes, à toutes les étapes de la production, que ce soit dans la vigne ou à la commercialisation.

«Pour moi, cette complémentarité est primordiale, affirme Mme Sanders. Je trouve que les hommes ont une vision plus globale alors que les femmes ont le sens du détail. Et dans notre métier, le diable se cache vraiment dans les détails, surtout rendu à un niveau de luxe comme celui que nous cultivons au Château Haut-Bailly.»

Francesca Planeta n'a que 40 ans et pourtant, elle est considérée comme l'une des premières femmes à avoir joué un rôle d'importance dans le monde du vin sicilien. Elle ne pensait pas du tout à ça lorsqu'elle a lancé Planeta avec son cousin Alessio (qui fait le vin), il y a 15 ans. Dans sa famille, les femmes avaient toujours prêté main-forte à la ferme et au vignoble.

Planeta a fait sa marque avec des vins plutôt costauds, dans un style très «nouveau monde». Mais comme beaucoup de ses compétiteurs, l'entreprise s'éloigne peu à peu de cette mode des grands cépages internationaux (Cabernet, Chardonnay, Merlot) et des vins au boisé très marqué.

«C'est tout de même intéressant de constater que les producteurs et productrices reviennent vers des styles plus traditionnels, du Vieux-Continent, avec plus de finesse», constate Etheliya Hananova.

Des vins comme ils étaient faits à l'époque où il n'y avait que très peu de femmes dans la vigne. Des vins d'hommes, finalement!